Saturday, May 11, 2013

Arturo Colautti, "Paolo e Francesca" -- Lancillotto -----

Speranza

Luigi Mancinelli
 
centenaire de Paolo e Francesca
Qui ne connaît, en Italie, terre de Roméo et de Juliette, un autre couple d’amoureux

pratiquement aussi célèbres: Paolo Malatesta, conte di Ghiaggiuolo, et Francesca da Polenta.
 
Leur tragique histoire inspira, souvent sous

 
le titre de Francesca da Rimini, poètes, musiciens et peintres.
 
L’opéra qui nous occupe pour

l’heure fut créé le 11 novembre en 1907 par Luigi Mancinelli, musicien et chef d’orchestre


autrefois célèbre et populaire, au point de voir son prénom de Luigi se muter en l’affectueux

diminutif de « Gigi »…

« Quel giorno più non vi leggemmo avante.

Ce jour-là, nous n’avons pas lu plus avant. »

Dante Alighieri, Inferno, Canto V° (Chant V), vers 138.

Centenaire de Paolo e Francesca – p.2 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com




« GIGI » MANCINELLI
  
Luigi Mancinelli est né à Orvieto, ville d’Ombrie ayant donné son nom à l’un des plus

prestigieux vins blancs d’Italie. C’est là qu’il voit le jour, le 5 février 1848, fatidique année de

révolutions européennes et d’adieu au dernier grand Romantique de l’opéra italien, Gaetano

Donizetti, qui devait disparaître le 8 avril. Bien que destiné au commerce, « Gigi » avait

appris seul à jouer du piano et pour échapper aux peu artistiques visées de sa famille, il avait

fui vers Florence. On le rattrapa à mi-chemin et lui reprocha sa conduite mais force fut de

seconder son inclination et on le retrouve pour de bon à Florence, à l’âge de quatorze ans,

prenant des leçons de violoncelle et de composition avec l’estimé Maestro Teodulo Mabellini

(1817-97), auteur d’une dizaine d’opéras dont Rolla (1840), Ginevra degli Almieri (1841) et Il

Conte di Lavagna (1843), forte histoire de la conjuration gênoise des Fieschi. Luigi


Mancinelli put rapidement vivre de la musique puisqu’il devint instrumentiste dans

l’orchestre du prestigieux Teatro della Pergola de Florence tout en vendant les romances qu’il

composait. Le destin n’aillait pas tarder du reste à lui offrir son occasion, selon l’expression


consacrée.

Le compositeur et chef d’orchestre Emilio Usiglio (1841-1910) voit son nom survivre encore

grâce un enregistrement remontant aux temps héroïque du phonographe. Il s’agit d’un passage

de son oeuvre la plus connue, l’opéra bouffe Le Educande di Sorrento (1868), dont le titre

signifie : les « petites pensionnaires chez des religieuses » de Sorrente. Alfredo Colombani1


en parlait, encore en 1900, comme d’un « popolarissimo operista giocoso vivente », c’est-àdire

d’un « très populaire auteur d’opéra bouffe vivant », opinion confirmée par le fait,

pratiquement unique dans l’histoire de l’opéra italien, d’un compositeur n’ayant écrit que des

opéras bouffes : c’est le cas des huit oeuvres de Usiglio ! Le Maestro aurait déclaré : « alla

mia musica non si dorme : on ne dort pas à ma musique », et on veut bien le croire en


découvrant l’unique extrait ennregistré parvenu jusqu’à nous. Certes, il nous faut « dépasser »

les grattements d’usage -d’usure ?- du vieux disque de phonographe, les « sonorités

miaulement » affligeant parfois le soprano, ainsi que la pauvreté de l’accompagnement piano,

pour découvrir la fraîcheur d’une inspiration chaleureuse, d’une ferveur passionnée au

charme séduisant, tout droit dans la lignée sentimentale de Donizetti.

Emilio Usiglio était en 1874 le prestigieux chef d’orchestre attitré du Teatro Morlacchi de

Pérouse et notre jeune Luigi Mancinelli avait réussi à se faire engager par le même théâtre en

tant que premier violoncelle, maître de piano et chef substitut. Un soir, nous raconte Adriano

Lualdi2, en parlant de l’état d’ébriété avancé du pauvre Maestro Usiglio, « on le trouve sous le


lit de sa chambre d’hôtel, il ronfle et éructe bruyamment : ’’Maestro, courage, dans une heure

vous devez diriger l’Aida. - Mais quoi Aida ? répond-il. Je suis Radamès mort ; laissez-moi


dans mon souterrain.’’ ».

On conjure alors Luigi Mancinelli de sauver la représentation et pour la première fois de sa

vie, le voilà qui empoigne la baguette.

Présents à la soirée étaient l’éditeur tout-puissant Giulio Ricordi et le directeur de l’important

Teatro Apollo de Rome qui précisément se rencontraient à Pérouse en vue de faire représenter

le nouvel opéra verdien à Rome. L’exécution sous la direction de Luigi Mancinelli procède

avec excellence et Ricordi reconnaît en lui « une authentique nouvelle force de l’art ». Il fait

engager Mancinelli à Rome, où il va diriger deux grands opéras : Guglielmo Tell et Gli

1 In : L’Opera italiana nel secolo XIX°, Milano, Tipografia del Corriere della Sera,1900.

2 In : Diario VIII Ricordo di Luigi Mancinelli, texte publié dans le site Internet :




http://www.rodoni.ch/malipiero/adrianolualdi/lualdidiariomancinelli.html
  
Centenaire de Paolo e Francesca – p.3 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com

Ugonotti (Les Huguenots) : « sa fortune de chef d’orchestre est faite », conclut Adriano


Lualdi.

Jeté à corps perdu dans la direction d’opéra, Luigi n’y avait encore pas « touché », en tant que

compositeur. Il le frôle, pour ainsi dire, en composant durant les années 1878-79 des


musiques de scène pour deux tragédies de Pietro Cossa et répertoriées sous les noms de

Ouverture e 5 intermezzi per la Cleopatra et Preludio e intermezzo per la Messalina.

Maurizio Giarda3 déclare que les « musiques de scène pour la Cleopatra de Pietro Cossa sont


d’un haut niveau technique, expressif ; sublime dans son intensité est le thème du charme fatal

de Cléopâtre et le rythme exaspéré du motif initial qui revient avec insistance durant

l’ouverture. »

Le musicologue bien connu Giancarlo Landini dans sa longue et précieuse présentation4 de

Mancinelli et de Paolo e Francesca, cite à son tour un observateur attentif, Sergio Martinotti,


nous disant de ces musiques que leur « ’’goût aristocratique […] combinant timbres héroïques

du symphonisme avec de fréquentes pauses lyriques’’, démontre déjà combien Mancinelli est

’’loin des bruyantes scansions mélodiques qui préparent le climat vériste’’ ». L’époque

précédant l’éclosion de la Jeune Ecole nous est suffisamment connue pour savoir qu’il existe

d’autres courants que celui s’écoulant irrémédiablement vers les « fleuves » mascagnopucciniens,

mais les exposants des autres tendances n’ont pas forcément la chance d’avoir

leurs opéras encore exécutés aujourd’hui, comme par exemple les Faccio, les Franchetti, les

Boito… G. Landini poursuit avec intérêt : « Le goût symphonique de Mancinelli démontre

une complète assimilation de la leçon européenne, un processus d’apprentissage qui ne doit

surtout pas être confondu avec les intentions velléitaires provinciales de beaucoup, de trop de

musiciens italiens. Il dénote au contraire une approche rigoureuse le portant à un style où

revivent originalement des souvenances ’’franckiennes’’ et ’’tchaïkowskiennes’’, avec la

capacité danticiper des solutions qui appartiendront ensuite à l’école française [et ici, G.

Landini cite à nouveau S. Martinotti], ’’au point de rappeler comme la Fuga degli amanti a

Chioggia [appartenant aux Scene veneziane] anticipe en son mouvement que l’on ne peut

arrêter, le célèbre Apprenti sorcier de Paul Dukas’’ ».

Luigi Mancinelli composera d’autres musiques de scène, comme ces 5 numeri per il

Tizianello (1880), pièce que le dramaturge Erik Lumbroso avait tiré d’une nouvelle d’Alfred


de Musset. Quant au degré de notoriété que rapportera à notre Gigi la composition de

musiques de scènes -et son prestige physique personnel ! -, nous l’avons dans une

sympathique caricature de A. Edel nous montrant un fringuant Romain jouant de la lyre sur

fond de pyramide et obélisque derrière lequel se cache une belle. Le visage altier mais

aimable du Romain nous rappelle quelqu’un… quant à la belle inconnue… mais voyons

plutôt ce qu’en dit l’espiègle commentaire : « Marcantonio Mancinelli subjugue de sa

sérénade et par le charme de sa beauté, l’inconstante Cléopâtre. »


Lorsque le compositeur-chef d’orchestre portera sa musique de scène (sans la « scène ») à

Paris, la critique du fameux Blaze de Bury montrera combien cette musique était autonome et

n’avait pas besoin de la pièce de théâtre Cleopatra pour vivre : « Il est possible, ainsi qu’on

l’a prétendu, que M. Luigi Mancinelli soit un Massenet italien, mais alors ce serait un

Massenet ayant des idées. Des intermèdes écrits pour la tragédie de Cléopâtre [Cleopatra],

3 In : Invito all'Opera, viaggio alla scoperta di autori dimenticati (Invitation à l’Opéra, voyage à la

découverte d’auteurs oubliés …au nombre de quarante-six actuellement), publié dans le « site

Internet » : http://www.primonumero.it/musica/index.php

4 Rosa di Romagna, Rosa dei Malatesta, Rosa vermiglia in : plaquette enregistrement Cd Bongiovanni

GB 2245-2, Bologna 1999. L’ouvrage de Sergio Martinotti s’intitule : Ottocento strumentale italiano



(Bologna, 1972).
 
Centenaire de Paolo e Francesca – p.4 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com


l’orchestre populaire de Turin ne nous en a fait entendre que trois : l’ouverture, l’andantebarcarolle,

la marche. En dehors de cette partie, toute dans la lumière de l’amour et du

triomphe, il en est une autre dramatique et sombre et qui se compose d’une symphonie

intitulée : la Bataille d’Aclium, d’un scherzo-orgie, et d’une marche funèbre. Représentée à

Rome, au théâtre Valle en 1877, la Cléopâtre [Cleopatra] de M. Pietro Cossa valut au jeune


auteur de ces intermèdes un succès d’enthousiasme que les applaudissements du public

parisien viennent de ratifier. M. Mancinelli n’a pas trente ans, et déjà sa renommée commence

à compter. Qui l’empêche de pousser dès aujourd’hui son succès plus loin et de compléter

l’aventure ; après avoir si brillamment écrit des intermèdes pour la tragédie d’un autre,

pourquoi ne ferait-il pas de cette tragédie un opéra : sa Cléopâtre. Un tel sujet, si beau qu’il


soit, ne dépasse ni son talent ni son inspiration ; il a l’éclat et la richesse de l’instrumentation

moderne, il a le savoir et l’instinct du style ; c’est assez pour que Shakspeare [Shakespeare] et

la Grande-Reine lui viennent en aide. »5


Pour l’heure, « Gigi » Mancinelli continue de réaliser son rêve : diriger des orchestres, et

Bologne où il avait déjà travaillé, l’appelle en 1881 comme directeur de ce prestigieux lycée

musical d’où sortirent rien moins que deux glorieux fleurons de l’opéra italien, Gioachino

Rossini et Gaetano Donizetti. Il entreprend d’audacieuses réformes et parvient à transmettre

son esprit musical aux jeunes élèves compositeurs. Directeur de la « Cappella di San

Petronio », il exalte les fidèles au point de voir résonner les austères voûtes de la cathédrale de

Bologne sous d’enthousiastes applaudissements. Fondateur-directeur de la Società del

Quartetto, il organise de mémorables concerts avec un orchestre bolognais porté à un haut

niveau de qualité d’exécution et donne ainsi pour la première fois en Italie, la Neuvième

Symphonie de Beethoven et la grande Agape Sacra du Parsifal de Wagner.


En 1882 lui échoit l’honneur de célébrer le quatrième centenaire de Guido Monaco, célèbre

inventeur de la notation musicale traditionnelle et connu également sous les noms de Guido

d’Arezzo et de Guido Aretino (en français Guy Arétin). Le texte d’Arrigo Boito comporte

toutes les notes de musique, de la même façon que l’Inno, (l’Hymne) de Mancinelli est

composé sur la gamme du Do :

« Util di Guido regola superna,

Misuratrice facile de’ suoni,

Solenne or tu laude a te stessa intuoni

Sillaba eterna. »


(Utile règle suprême de Guido, / Mesurant facilement les sons, / Tu entonnes à présent une

solennelle louange de toi-même / Parole éternelle.).

C’est durant cette période bolognaise qu’il donne au Teatro Comunale, le 2 octobre 1882, son

premier ouvrage lyrique, Isora di Provenza. Le succès de l’accueil ne se renouvela pas à


Naples, curieusement, mais à Vienne, et encore vers la fin du siècle. Selon Alfredo

Colombani6, cette Isaure de Provence « renferme des des mélodies on ne peut plus suaves et

reflète une palette orchestrale des plus éblouissantes ». Maurizio Giarda7 en parle comme d’un


« drame d’amour et de mort avec une orchestration soignée et pénétrante. »

En 1886 il reprend la vie de libre chef d’orchestre et dirige l’Opéra Royal de Madrid durant

sept années, et la Société des Concerts pendant trois ans. Après l’Angleterre, l’Ecosse et

5 Henri Blaze de Bury, « Les concerts du Trocadéro » in : Revue des Deux-Mondes, Août 1878.

6 Op. cit.

7 Op. cit.

Centenaire de Paolo e Francesca – p.5 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com


l’Allemagne, c’est New York qui le reçoit et il inaugure le Metropolitan Opera (27 novembre

1893) reconstruit après un incendie, en dirigeant le Faust de Gounod. Il conduit également les

premières représentations dans cet illustre Théâtre de Werther, Falstaff, Samson et Dalila, Le

Cid, Die Zauberflöte, La Bohème, Don Giovanni et Ernani8. C’est à New York qu’il compose

en quarante-sept jours seulement son Ero e Leandro, créé sous forme d’oratorio au festival de

Norwich. L’année suivante, le même cadre reçoit son oratorio Isaias, composé sur des vers

latins. Suivront un Salve, pour choeurs et orchestre (1893), et une symphonie (1894). Cette


même année devait lui apporter la douleur de perdre son frère Marino, chef d’orchestre

comme lui et ayant participé à d’importants événements comme la création posthume en 1882

de Il Duca d’Alba de Donizetti, ou de la première en Italie de Il Vascello fantasma, c’est-àdire

Der Fliegende Holländer de Wagner. Marino Mancinelli, né en 1842, avait lui aussi


conduit bien des premières locales et se trouvait être un chef apprécié, mais la faillite de sa

compagnie d’opéra au Brésil conduisit le malheureux au suicide.

Lorsque Ero e Leandro est enfin créé en version scénique, au Teatro Regio de Turin, le 1er


janvier 1897, l’opéra est « Jugé de diverses manières par les Turinois, mais apprécié de

manière générale pour le caractère élévé de son style et pour la richesse de sa polyphonie, il

n’a pas jusqu’ici commencé cette circulation par les théâtres d’Italie que les amis de l’auteur

lui pronostiquaient », écrit à l’aube du XXe siècle Alfredo Colombani dans le supplément au

Corriere della Sera déjà cité. Ce fabuleux volume destiné à célébrer l’Age d’Or de l’Opéra


italien achève son article sur « Gigi » Mancinelli en nous révélant que sept années avant sa

création, le compositeur pensait déjà à ce Paolo e Francesca qui motive le présent


hommage : « Et la muse de Mancinelli déjà médite d’autres créations puisque le maestro est

en train d’accomplir un nouvel opéra : Paolo e Francesca, que Arturo Colautti a tiré de


l’épisode passionnel dantesque bien connu sur Francesca da Rimini. Nous finissons donc de

parler de lui en lui renouvelant le souhait sincère que nous avons exprimé au début. »

L’affectueux souhait en question commence par un passage de l’article de la Revue des Deux

Mondes, que nous retranscrivons cette fois d’après la traduction-adaptation italienne : « Il


possède la force et la richesse de l’instrumentation moderne : il a culture et instinct de style :

et ceci suffit pour que la gloire doive lui venir en aide. »

Le supplément au Corriere della Sera conclut ensuite : « Le jugement est trop exact et


l’augure trop légitime pour qu’on ne doive pas les partager entièrement. Nous disons augure,

car jusqu’à présent la renommée est venue à Mancinelli plus pour d’autres dons que pour

ceux d’« operista » [compositeur d’opéra]. Tout en comptant quelques bons succès théâtraux

– il n’obtint jamais avec une partition, ni l’infatigable et enthousiaste applaudissement des

foules, ni l’admiration passionnée et fidèle des intelligents. » Ainsi parlait-on en 1900 de

Luigi Mancinelli et avec le recul des années, il est même touchant pour nous de lire cette

remarque affectueuse : « Gigi Mancinelli (aujourd’hui encore on l’appelle ainsi) avait appris

seul à jouer du piano… », sachant qu’à l’époque Gigi allait vers ses cinquante-deux ans !


(Il devait s’éteindre le 2 février 1921, veille de son anniversaire).

Une analyse affecteuse certes mais objective et la création de Paolo e Francesca, sept années9


plus tard (le 11 novembre 1907, à nouveau au « Comunale » de Bologne), changerait-elle

quelque chose ?…

8 Renseignements donnés par le site http://opera.stanford.edu/Mancinelli/.

9 Il composera encore, vers 1915-17, la « Fantasia lirica » en trois actes Sogno di una notte d'estate,



évidemment d’après William Shakespeare, mais elle ne sera pas créée.)
 
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PAOLO E FRANCESCA
   
Arturo Colautti, journaliste, écrivain, poète et librettiste est particulièrement passé à la

postérité grâce à deux beaux livrets d’opéras bien-aimés du public : Fedora pour Umberto

Giordano (1898) et Adriana Lecouvreur pour Francesco Cilea (1902). Dans le Paolo de

Mancinelli, il signale dans un Avertissement combien il a voulu suivre l’épisode dantesque,


« sans scrupules superflus de vérité historique, voulant conserver intacte aux deux

personnages principaux la purification idéale qui leur est concédée pour tous les siècles à

venir par le suprême Dictateur de l’Art. » Cette volonté de suivre le poème de Dante se

retrouve dans la concentration de l’opéra, non seulement dramatique (le livret est en un seul

acte) mais également musicale, puisque l’exécution de l’oeuvre n’atteint pas les soixante-cinq

minutes.

On remarque toutefois avec intérêt l’ajout d’un personnage portant originalement le nom de

sa qualité, si l’on peut dire : « Il Matto », Le Fou. Nouveau Tonio, Le Fou sert à attiser la

jalousie de Gianciotto, mais à la difformité physique du personnage bien connu de I

Pagliacci, correspond ici sa déformation mentale. Il partage enfin avec le personnage de


Leoncavallo son attirance pour l’héroïne, méprisée par celle-ci.

Le noeud historique de l’intrigue concerne le mariage de convenance ayant eu lieu en 1275

entre la belle Francesca, fille de Guido Minore, seigneur de Ravenne, avec Gianciotto

Malatesta, fils du seigneur de Rimini. Le prénom du marié dérive de Gianni et de « ciotto »,

tordu, bancal, et désignait l’infirmité du personnage déhanché et boiteux, en plus de laid et

grossier. La nature voulut que le frère de Gianni ne fût pas nommé pour rien « Paolo il

Bello », tant son élégance et son charme naturel étaient fascinants. Francesca finit par tomber

amoureuse de son beau-frère, portant si bien ce nom de parenté. Un passage sublime du récit

dantesque concerne le moment où, à force de lire ensemble des romans de chevalerie et

d’amour courtois, en particulier lorsque Lancillotto (Lancelot) donne un baiser si

fougueusement éperdu à Ginevra (Guenièvre), Paolo et Francesca, subjugués à leur tour,

confessent à Dante et à Virgile dans un vers demeuré célèbre entre toutes les littératures de

tous les temps :

« Quel giorno più non vi leggemmo avante.

Ce jour-là, nous n’avons pas lu plus avant. »

Dante Alighieri, Inferno, Canto V° (Chant V) vers 138.


Guidé par ses propres soupçons ou par une dénonciation, Gianciotto les surprit et les tua tous

les deux (vers 1283-85).

La dernière mise en musique du sujet ayant eu un certain retentissement est la Francesca da

Rimini de Antonio Cagnoni, créée une trentaine d’années auparavant, au Regio de Turin, le 19

février 1878. C’est l’avant-dernier de ses vingt opéras dont les bouffes-sentimentaux Don

Bucefalo (1847) et Papà Martin (1871) connurent un grand succès. Maurizio Giarda, après


l’une de ses passionnantes investigations dans le trésor des partitions-mémoire de l’opéra

italien du XIXe siècle, estime qu’il s’agit de « son oeuvre la plus importante, avec la tentative

de dépasser les schémas conventionnels. Le Finale, avec le meurtre de Paolo e Francesca, est

d’une importance dramatique particulière ; remarquable aussi la caractérisation de l’ambiance

médiévale. On sent une influence de Wagner dans l’orchestration et des accents pré-véristes ».

Centenaire de Paolo e Francesca – p.7 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com

Le livret de Antonio Ghislanzoni, passé à la postérité pour celui d’Aida, est en quatre actes et


présente de plus nombreux personnages, comme Guido seigneur de Ravenne et père de

Francesca, un moine, un ménestrel, la fiancée de Paolo (!) et le père de celle-ci…

Le public curieux de comparer le bref Paolo e Francesca de Mancinelli au traitement


traditionnel en plusieurs actes de Ghislanzoni-Cagnoni trouvera ici un résumé de ce dernier.

ACTE I - Premier Tableau. Une petite pièce sévère avec prie-Dieu. Francesca, sur le point


d’épouser le noble Lanciotto, confie au moine Fra Bonaventura, qu’elle nomme « mio

secondo padre », comme elle demeure impressionnée de la rencontre d’un mystérieux

chevalier lui ayant déclaré son amour avant de disparaître… Elle en conserve un

pressentiment de malheur pour son mariage, tandis que Fra Bonaventura lui prodigue des

paroles rassurantes.

Second Tableau. Une vaste cour de château avec portiques. Le choeur s’extasie sur la


magnifiecence d’une fête telle que Ravenne n’en connut guère. Alberigo, capitaine de fortune

et les soldats s’interrogent sur le fiancé que personne n’a encore vu : est-il jeune ? beau ? en

tout cas, on le dit généreux. Les dames déclarent à Silvio, qu’elles surnomment « gentil

trovator », que son luth est muet depuis trop longtemps. Il monte sur la table et chante alors sa

plus belle romance parlant d‘un gracieux papillon allant de rose en rose jusqu’à ce qu’un

jeune garçon l’emprisonne tendrement… hommage métaphorique à la fiancée. Le cortège

nuptial traverse la cour mais Alberigo ne participe pas aux voeux généreux et lâche la

métaphore suivante : « D’une jeune tourterelle, / Un vieil épervier, / Peut-il peut-être

s’attendre / A foi et amour ? ».

ACTE II. Un jardin Palais Malatesta de Rimini. Silvio le ménestrel lit, à la grande joie des


« damigelle » et des pages, une chronique d’amour courtois dans lequel un noble chevalier

déclare à la dame de ses pensées qu’il ne peut vivre sans elle… Francesca survient, il veut lui

offrir le livre, elle accepte par courtoisie mais déclare ne pas croire qu’il existe des amours

heureuses sur terre. Lanciotto entre et l’appelle mais Francesca tressaille et il le fait remarquer

au seigneur qui l’accompagne, Guido da Polenta, le propre père de Francesca, qui s’étonne de

voir sa fille l’accueillir avec des pleurs. Lanciotto confirme ce qu’il écrivit à son futur beaupère

: il n’a eu comme réponse à son amour que des pleurs en cette maison qui respire la

tristesse. A l’annonce qu’il a appelé près de lui son frère chéri, Francesca s’est plus encore

enfoncée dans sa tristesse… mais il est vrai, remarque Lanciotto, que ce frère a tué celui de

Francesca sur le champ de bataille… Guido répond avec sagesse que si le coeur d’un père a

pardonné, celui de Francesca ne peut être endurci. Elle se ressaisit, acceptant la venue du frère

de Lanciotto qui, tendrement déclare qu’il n’a d’autre désir que de la voir heureuse. Seul en

scène, Alberigo laisse libre cours à son amertume et raconte comme la fortune lui a souri

depuis que sa mère l’a jeté aux chiens de la rue tel un torchon immonde. A présent il vieillit,

pauvre soldat de fortune !… alors que prospèrent ceux qui, tantôt guelfes, tantôt gibelins,

selon l’or ou les honneurs à glaner, clament tout haut le nom d’Italie, puis vendent leur patrie

à l’étranger ! mais il leur prépare une belle vengeance. Francesca paraît, demandant à Fra

Bonaventura de rester à ses côtés afin de lui insuffler la force nécessaire pour « accomplir

l’oeuvre » (son mariage). Elle accueille Pietro Anastagi et sa fille Isabella, tandis qu’Alberigo

note à part que les deux rivales se rencontrent (on saisit plus tard l’allusion, lorsque l’on

comprend qu’elle est fiancée à Paolo). Pietro remarque son sourire ironique et le somme de

s’expliquer. Il raconte l’histoire d’une belle non éprise de son époux, imposé par son père,

mais qui médita de faire venir le chevalier qu’elle aime, habiter sous le même toit que son

mari… Pietro voudrait plus d’explication et Alberigo se contente de lui désigner Francesca et

Paolo qui surviennent en s’entretenant à voix basse. Le venin est lancé et Pietro Anastagi

demeure troublé malgré tout (et tous) et hésite même à accompagner sa fille à l’autel.

Lanciotto en prend ombrage, parle d’injure, on en vient aux épées que Fra Bonaventura

Centenaire de Paolo e Francesca – p.8 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com


ordonne de jeter à terre… Le rideau tombe respectivement sur le ressentiment ou la

consternation des personnages.

ACTE III. Une salle du Palais Malatesta. Lanciotto, très agité, se demande pourquoi son


épouse est inquiète au point de crier fort son nom dans son sommeil… Il tremble de découvrir

quelque « coupable flamme », mais se ressaisit : « vil est le soupçon… ». Alberigo lui porte

un message de Pietro Anastagi déclarant lui écrire avec franchise : son frère Paolo n’aime pas

sa fille Emma mais brûle en secret d’une autre flamme. Lanciotto, étonné, interroge Alberigo

qui était le compagnon d’armes de Paolo. Avec hypocrisie, l’autre décrit l’air absent et

sombre qu’il a vu quelque fois à Paolo… rien de significatif en somme ! Lanciotto veut se

mettre à la recherche de son frère mais Alberigo le lui désigne par la fenêtre, en train de

bavarder avec une Francesca semblant avoir oublié l’ombre de son frère tué par Paolo…

Saisissant l’allusion, Lanciotto menace d’abord Alberigo de son poignard mais le fait plutôt

arrêter, pensant être le jouet d’une calomnie. Lanciotto n’en reste pas moins pensif et

préoccupé : Paolo, le jour des noces, n’était-il pas la proie d’une sombre mélancolie

inexplicable ?… Lorsque Paolo et Francesca entrent, il est bien décidé à tirer la situation au

clair. Il tend à Paolo le message d’Anastagi mais son frère récuse la nouvelle disant qu’il ne

ment pas et du reste il est décidé à mépriser l’offense et à quitter Rimini. Lanciotto ne

parvient pas à lui faire accepter de rester, il annonce alors son propre départ pour Pérouse.

Francesca le supplie de ne pas la laisser seule, invoquant un vague présage, mais l’opinion de

Lanciotto semble faite lorsque l’on entend ses mots, prononcés à part : « A feindre / Bien

habile est l’infidèle ! ». Fra Bonaventura survient, demandant s’il est vrai qu’un preux et

fidèle comme Alberigo puisse être en prison mais Lanciotto donne précisément l’ordre de sa

libération. A peine le soldat fait-il son entrée que Lanciotto lui demande d’observer Paolo et

Francesca. Le Finale unit les poignants adieux de Paolo et Francesca, les promesses

d’enrichissement à Alberigo s’il porte à Lanciotto la preuve de la culpabilité des deux autres,

et le noir pressentiment de Fra Bonaventura.

ACTE IV. Un jardin avec des arbres aux épaisses frondaisons – Il fait nuit.


Lanciotto, non parti pour Pérouse en fait, est embusqué dans les ruines d’une vieille tour

couverte de lierre. Voyant son épouse se diriger vers la chapelle, il se demande si elle pourrait

prier en étant coupable… à moins qu’elle ne prie pour… lui ! Il espère de tout son coeur


qu’elle est innocente et du reste lorsque des hymnes à la Vierge lui parviennent de la chapelle,

il s’agenouille et unit sa prière aux chants. Lorsque Francesca repasse, elle demande à sa suite

de la laisser seule et s’interroge sur ce que va être sa vie à présent.

Paolo survient ! Elle le presse de fuir, lui rappelant qu’il s’agit de son frère mais Paolo

répond avec détermination : « Il délia le lien sacré… / L’homme qui t’enleva à moi, / Puis-je

le nommer frère ? ». Francesca tremble de terreur, mais de terreur d’elle-même, de cet amour

qui brûle dans son coeur… Elle le supplie : « Près de toi j’oublie tout remords… / Mais cette

ivresse est un tourment cruel… / Laisse-moi pure… si tu veux que Dieu / Nous unisse un jour

éternellement au ciel ! ». Paolo recourt à des arguments extrêmes : « Si tu veux rester pure, /

Envole-toi de ces mûrs ! », et il lui évoque les « baisers infâmes » qu’elle devra subir « sur le

lit conjugal détesté ». Francesca est vaincue et le suit puis s’arrête, évoquant un fantôme au

fond du jardin… Ils ont un moment de chant à l’unisson, chant d’amour désespéré… Le

fantôme se matérialise : Lanciotto ! Francesca tente de s’interposer et s’écroule, blessée, ils

se battent toujours et disparaissent derrière les arbres. Fra Bonaventura et le choeur entrent,

Francesca les supplie de secourir Paolo mais le nom de Francesca qu’il lance en une


invocation désespérée lui fait comprendre qu’il est perdu. Lanciotto revient mais le moine

s’interpose : Francesca est mourante. Comme pour nous faire moins regretter de n’avoir pas

conservé la fameuse scène de la lecture commune interrompue, le librettiste Ghislanzoni place

dans la bouche de Francesca de belles paroles d’amour romantique désespéré :

Centenaire de Paolo e Francesca – p.9 - un dossier de Y. Buldrini - – www.forumopera.com


« S’il est vrai qu’un Dieu terrible

Punit celui qui aima beaucoup…

Aux félicités du ciel,

Francesca ne peut être appelée.

Du moment qu’à l’aimé Paolo

L’éternité m’unisse,

Dans les pleurs et dans les ténèbres,

J’aurai le paradis. »

Fra Bonaventura la console : « Ne désespère pas, ô malheureuse, / Ton péché fut grand, /

Mais au ciel est pardonné / Celui qui sur terre a beaucoup aimé ! ».

Lanciotto réalise qu’il vient de tuer son épouse, son frère : « Et moi ? / Pourrai-je vivre

encor ? ». Fra Bonaventura annonce la mort de Francesca et demande aux autres de

s’agenouiller et de prier pour elle. Lanciotto veut se transpercer de sa propre épée mais le

moine l’en empêche. Le choeur, à genoux, conclut : « Pace a chi tanto amò ! : La paix soit


pour qui a tant aimé ! ».

La comparaison avec « notre » Paolo e Francesca est intéressante malgré l’importante


différence première, on passe en effet de quatre à un seul acte ! …et d’une durée d’exécution

probablement réduite de moitié (Paolo de Mancinelli dure un peu plus d’une heure et l’on ne

connaît plus aujourd’hui l’opéra de Cagnoni). Si la Francesca de Cagnoni semble bien

construite, la lecture de la présentation de Paolo e Francesca montre la vitalité de cette

histoire résumée à l’essentiel : rien n’y manque ni ne semble expédié. On remarque par


exemple un intéressant exemple de « concentration » de la matière, au niveau des

personnages. Chez Ghislanzoni-Cagnoni, un ménestrel joue le rôle de commentateur intuitif

et poète, tandis qu’un vieux soldat amer et rempli de ressentiment, Alberigo, celui

d’observateur-délateur de la passion des deux protagonistes. Colautti et Mancinelli «

concentrent » habilement les deux rôles dans celui du « Matto », ce fou dont l’état est le nom,

observant avec le filtre de poésie du troubadour, mais aussi de l’amertume de celui qui s’est

vu méprisé par la belle de l’histoire.

Notons au passage l’originalité d’une Francesca « étrangère » et donc ne figurant pas parmi

les dix-sept opéras recensés par le dictionnaire Caselli10 établissant les oeuvres créées sur ce

sujet en Italie. La Françoise de Rimini d’Ambroise Thomas (1882) fait en effet apparaître rien


moins que Dante Alighieri lui-même au nombre des personnages ! On le voit aux côtés de

Virgile dans un prologue où il rencontre les amants dans le premier Cercle de l’Enfer et

décide de raconter leur histoire, puis dans un épilogue où ils reçoivent leur pardon. Précisons

que Dante et Virgile paraissent également dans l’opéra Francesca da Rimini que Sergueï


Rachmaninov fit représenter en 1906. Ce n’est pas le cas du dernier traitement « opératique »

du sujet, semblant être celui de Riccardo Zandonai (Turin, 1914), sur un livret que Tito

Ricordi tira de la pièce de Gabriele D’Annunzio.

Laissons à nouveau la parole à Maurizio Giarda avant d’écouter Paolo e Francesca : « Ses


opéras n’eurent pas de succès populaire, c’étaient des oeuvres raffinées pour un public

restreint, oeuvres d’une musique de recherche et de pensée, comme cela apparaît dans Paolo e

Francesca, où l’on note l’influence wagnérienne à côté de citations de ballades médiévales

10 Aldo Caselli : Catalogo delle opere liriche pubblicate in Italia, Leo S. Olschki Editore, Firenze,



1969.
 
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italiennes, et le caractère passionnel des deux protagonistes est exprimé avec des accents

grandioses, austères. »

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Paolo e Francesca
   
L’action se déroule dans la forteresse des Malatesta, à Rimini, en l’an 1285
 

ATTO UNICO [1h. 04mn.]


La longue didascalie initiale plante décor et position des personnages. Nous découvrons un

talus sous le donjon, dans l’angle des fortifications, dirigé vers la ville de Rimini. Soldats et

gens des Malatesta regardent vers le ciel le vol des palombes ; un jeune bouffon appelé « il

Matto » (le Fou) est étendu sur la dernière marche d’un escalier d’angle : « il dort ou rêve au

soleil », nous dit poétiquement Arturo Colautti. Du reste le librettiste met en valeur son

personnage principal Paolo Malatesta, dit « il Bello » (le Beau), qu’il décrit ainsi : « un jeune

homme de belle prestance, très blond et à la longue chevelure bouclée sous le béret vermillon,

en justaucorps sans haubert ni cotte de maille, mais l’épée au côté ».

Une brève introduction orchestrale Allegro con brio, tout occupée par un motif aux notes


rebattues étranges, précède les exclamations des homme d’armes regardant les oiseaux. C’est

la chasse au faucon et Paolo (ténor) s’apprête à lancer le premier rapace. « Il Matto » (ténor)

remarque avec une distance philosophique quel est le plus féroce, de l’homme ou de l’oiseau

rapace. Le faucon de Paolo se saisit d’un héron et tous s’extasient sur l’exploit mais le Matto

chantonne sagement que l’homme ou le faucon ne jouissent pas de leur victoire et deviennent

proies à leur tour. Les bois de l’orchestre commentent avec espièglerie les paroles du Matto.

Entrée de Francesca (soprano). Arturo Colautti note soigneusement : « Depuis l’escalier



central paraît d’un trait lumineux la gracieuse et passionnelle figure de Francesca, pâle sous
 
le noir casque de ses cheveux ondulés ». Elle chante depuis l’extérieur un doux hymne au


mois de mai, délicatement ponctué par les choeurs des chasseurs et des « donzelle », ses

suivantes.

Moment de « parlé » et monologue Francesca. Sur un délicat tissu orchestral, Francesca ouvre

un petit livre et déclame un extrait de roman de chevalerie où il est question de la manière

dont naît l’amour ardent L’orchestre attaque un chaleureux Allegro sostenuto portant le


monologue de Francesca qui commente l’enfermement de sa jeunesse dans « ces sombres

murs solitaires » et ce « cruel jardin ». Son chant culmine dans l’interrogation : comment

l’amour peut-il faire vivre les âmes ?

Episode Il Matto. Tandis qu’elle passe près du Fou, celui-ci baise dévotement un pan de sa


traîne mais elle retire vivement le morceau de robe et détourne ses regards avec dégoût.

Fortement blessé, à part, il la met en garde car si elle est superbe et distante avec tous, elle ne

dédaigne pas le seul qui précisément déplaît à son époux…

Récit de Paolo. Comme pour illustrer ces paroles, Paolo s’incline et lui dit : « Toujours vous

êtes la rose / La plus rare de Romagne ». Dans un Allegro animato « Pellegrino tornante di


Soria » (Pèlerin revenant de Syrie), passionné mais élégant, il narre ses souffrances de

prisonnier. Espérant toucher Francesca avec ce récit, il lui demande la faveur d’un ultime

rendez-vous.

Scènes diverses. Le Fou tend l’oreille puis, prenant des familiers des Malatesta à témoins, il


met en métaphore la chasse au faucon jouant sur la confusion : la proie/Francesca. Les autres

lui conseillent de tenir sa langue mais Paolo se met en colère et les bois espiègles

accompagnant les paroles du Matto laissent bientôt la place à des accords menaçants de

l’orchestre : Paolo le saisit à la gorge et menace de l’étouffer. On les sépare et Paolo

s‘éloigne. C’est alors que paraît, en haut de l’escalier, Gianciotto Malatesta, « en habit de

Capitaine du peuple », précise Colautti qui poursuit : « le frère aîné de Paolo a le visage

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olivâtre, grises sont la chevelure et la barbe, la personne est forte mais trapue et un peu

voûtée. »

Le Matto s’explique à nouveau par métaphore : « Rien : une grue qui devint héron »

(comprendre : Francesca devint proie !) heureusement pour lui que Paolo n’entend pas ! Il

faut croire que dans le fatras métaphorique du Fou, Gianciotto perçoit de quoi éveiller ses

soupçons, car il congédie tout le monde et lui ordonne de parler. Le Matto n’est pas plus

direct, mais son chant est suavement moqueur, avec un accompagnement orchestral d’une

musique largement insinuante :

« Dites à la flambée : gêle !

Dites au poison : pardonne !

Dites au sanglier : bêle !

Dites à l’avare : donne !

Dites à l’amour : cache-toi !… »

Monologue Gianciotto et Scena. Le frère de Paolo a saisi puisqu’il demande où et quand,


puis pensant aux mesures qu’il doit prendre, il lance une bourse d’or au Fou. Il donne libre

cours à son amertume dans un monologue accompagné par un orchestre évidemment

tourmenté et culminant sur un brutal aigu. L’orchestre s’assouplit pour accompagner l’entrée

de Paolo. Ce dernier demande à son frère de chasser l’insolent bouffon mais Gianciotto veut

au contraire éloigner Paolo sous prétexte que Bologne a besoin d’un valeureux conducteur

mais la vérité se fait jour, le nom de Francesca est prononcé : Paolo reproche à Gianciotto de

la lui avoir ravie. L’orchestre adopte un motif tumultueux alors que leur chant demeure

contenu, exprimant bien l’action du livret les montrant comme se mesurant du regard. Paolo

finit par accepter de partir.

Monologue Gianciotto. Resté seul, il s’écrie trois fois : « Ei l’ama ! », (Il l’aime !), puis se

lance dans une sorte d’air, « O gelosia », Molto lento, accompagné de tonalités amères à


l’orchestre (violoncelles et bois) :

« O jalousie, reine des affres,

Glaciale brûlure et frisson de mort,

Tandis que je descends l’échelle des années,

Pourquoi m’enserres-tu de tes liens ? »

Scena Gianciotto-Francesca. Francesca s’apprête à déposer à l’autel de la Vierge des


offrandes mais Gianciotto lui demande de laisser les prières pour les coupables…

Abandonnant le ton de la courtoisie il lui demande si elle ne va prier pour sa ruine à lui, pour

la pardon de ses turpitudes ? Elle ne comprend pas ces accusations, il poursuit et insiste, sur

un curieux accompagnement « bouillonnant » des bois de l’orchestre. Elle s’éloigne, assez

émue, et va s’agenouiller devant l’effigie de la Vierge. Gianciotto appelle ses gens et familiers

à la chasse. La grande porte du château s‘ouvre et livre passage au cortège de la chasse, le

Matto en tête.

Scena Gianciotto-Il Matto-Coro. Une sorte de double chanson de chasse commence alors,


où la voix légère du Fou s’élève comme en contrepoint à celle du baryton, amère et noire, le

choeur ponctuant tout ceci.

Scena de l’invocation à Sant’Uberto/Appel aux Vêpres. La chasse s’éloigne invoquant

Saint Hubert. L’Angelus sonne, Francesca a une brève prière puis s’assure, regardant entre les


merlons, que la chasse s’éloigne bien. A propos de ce passage, G. Landini note cette remarque

intéressante : « Mancinelli aussi succombe finalement à cette recherche de la suggestivité

musicale mais il se surveille, afin d’éviter les pièges d’un mélodisme avoué, aussi bien vocal


que instrumental. Il nous faut bien le néologisme de « mélodisme », pour tenter de rendre

l’expression italienne de « uno scoperto melodismo », c’est-à-dire d’une évidente façon de

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composer mélodique, qui s’apparenterait bien sûr à la manière ouverte, directe et… vériste (ne


résistons pas à utiliser le terme !) de la Jeune Ecole…

Cantilène Il Matto. Depuis l’intérieur, le Fou prélude et chantonne un air parlant d’un bateau


abandonné sur les eaux endormies…

Scena Francesca « O mia Ravenna ». Sur les lumineuses phrases des violons, elle invoque sa


terre natale de Ravenne qu’elle sent de ne plus revoir.

Scena Paolo-Francesca. L’orchestre frémit sous un Presto agitato accompagnant l’entrée de


Paolo. Plusieurs fois son chant est tendu en ce qu’il sollicite une force d’émission bien de

l’époque de la composition, afin de traduire le désespoir de celui qui va partir (le Matto les

surveille depuis les remparts supérieurs). Elle lui rappelle qu’elle est sa belle-soeur mais Paolo

répond que tandis qu’il lui a pardonné (d’en épouser un autre), elle, ne lui permet même pas

de l’appeler par son nom ! Durant leur dialogue, les violons jouent délicatement de jolies

phrases diaphanes… et c’est alors que Arturo Colautti note : « Les jeunes gens, émus par leur

sacrifice mutuel se rapprochent ». Paolo, faisant écho aux adieux passionnés d’Edgardo dans

le célèbre Finale I de Lucia di Lammermoor, s’écrie que les airs porteront vers elle ses doux


soupirs…

C’est le « Duetto d’amore vero e proprio » (le duo d’amour véritable), tel que le nomme G.

Landini, qui commence. Voilà le seul moment où Mancinelli se permet un peu plus de

ferveur, de passion, dans le chant comme à l’orchestre.

[Romanza il Matto]. Le charme retombe lorsque, accompagné de la harpe figurant le luth, le


Fou chante une mélancolique romance *paroles ?* de un sirvente ou chant satirique du

célèbre troubadour Jaufré Rudel sur laquelle Francesca et Paolo dialoguent, celui-ci tentant de

la rassurer : c’est un chant venu de la mer, tous sont à la chasse. Comme il ne doit plus la

revoir, il lui recommande « le petit don » qu’il lui fit à Ravenne, ce roman de chevalerie

qu’elle lisait en entrant. Paolo veut lui montrer les pages tachées des larmes qu’il versa sur le

triste sort commun de Lancilotto et Ginevra (Lancelot et Guenièvre) et pour ce faire

s’approche d’un banc. « Pour mieux voir à la lueur crépusculaire, elle le suit

involontairement », précise bien Colautti, qui tient à son adverbe. Francesca, remarquant

qu’elle aussi a pleuré au même passage, « s’est assise négligemment sur le banc. Paolo, lui

indiquant la page, a, sans y préter attention, fléchi un genou ». On notera un second adverbe


de précaution de Colautti, « inavvertitamente », que l’on peut traduire par : sans faire

attention. Depuis le rempart, le Fou fait signe à quelqu’un finissant de gravir des marches. Les

violons légers dans leurs notes les plus aiguës sèment comme une aura de mystère…

Voilà le fameux passage dantesque dans lequel ils vont lire ensemble… Arturo Collauti

adapte même des vers de Dante Alighieri…

Francesca ouvre le livre sur ses genoux, Paolo commence sa lecture : c’est l’instant où la

reine Guenièvre constate la douleur de Lancelot, qui l’aime éperdument, plus que lui-même !

Chaque fois qu’il marque une pause, Francesca le presse de continuer, si bien que « (Les



fronts des deux jeunesgens se touchent presque dans la lecture, et leurs haleines se
 
confondent.) », note Colautti, qui poursuit : « (Paolo et Francesca, oublieux de l’heure,

continuent à lire alternativement, dans la lumière assombrie du coucher de soleil. ». La suite


de la didascalie est moins élégiaque car elle nous confirme la présence, derrière une colonne,

de deux indiscrets à l’écoute, Il Matto et Gianciotto. Sur les violons délicatement sensuels,

sans extase lyrique mais déclamant presque, les deux amoureux poursuivent ainsi :

« Paolo


…et la reine, le voyant ainsi le visage défait et pâle et douloureux, pâlit de compassion…
Francesca
 
… et, vacillant, elle tomba entre ses bras…
Paolo
 
…et longuement sur la bouche le baisa…

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(Abandonnant d’un coup la lecture, Francesca fixe Paolo amoureusement dans les yeux : le
 
jeune homme lui presse convulsivement la main).



Francesca
 
Oh, comment donc ?
Paolo
 
Ainsi…
(Paolo, tout tremblant, attirant à lui Francesca, la baise avidement sur la bouche. Gianciotto,
 

avec un hurlement féroce fait irruption entre les deux. Le Fou, un peu à l’écart, ricane). »


L’orchestre vrombit, assène des coups, tandis qu’un rapide échange de paroles a lieu : Paolo

déclare Francesca pure et se présente à la dague de son frère. Francesca veut s’interposer,

lançant à Gianciotto : « Moi je l’aime !… Fratricide !… ». Il frappe Francesca qui tombe aux

pieds de Paolo, ensuite il blesse mortellement son frère qui s’abandonne sur le corps de sa

belle-soeur. Entre temps, la voix du Fou s’ajoute à ce paroxysme : « Grande récompense ! /

Un beau coup, vraiment ! / Un, deux font trois… ». L’orchestre arrête ses coups violents et

attaque un crescendo impressionnant, accompagnant les terribles paroles de jubilation de


Gianciotto qui contemple Francesca tout ensanglantée :

« Rassasiez-vous, mes yeux !…

Rose des Malatesta, à présent tu es vermeille ! ».

Au son du couvre-feu, le Fou entraîne Gianciotto.

Scena finale. La cloche du couvre-feu sonne comme un glas mais porteur d’apaisement.


Francesca appelle Paolo, elle confond les rougeurs du coucher de soleil avec la flamme de la

« peine imminente » qu’elle sent venir… mais Paolo voit sereinement la fin du jour «

bénissant celui qui rend son esprit… ». Leur dialogue ultime se déroule sur fond d’un choeur

venu « des profondeurs », nous dit Colautti, car ses paroles de réconfort suprême pour ceux

qui aimèrent vraiment, ne peuvent être celles des autres personnages, non présents et qui

auraient d’abord constaté l’horreur de la scène. La mélodie est sereine et lorsque les choeurs

la reprennent, l’orchestre se joint, caressant, chaleureux. Paolo, dans un ultime effort,

approche sa tête du front de Francesca, elle l’entoure de ses bras :
Francesca
 
Paolo, ta main !…
Paolo
 
Donne-moi ton coeur !
Francesca
 
Et la bouche…

Paolo et Francesca (ensemble)


« O pio bacio !… o dolce morte !… : O pieux baiser !… ô douce mort !…
(En un baiser suprême les deux parents par alliance exhalent leurs esprits, la lumière du
 

coucher de soleil atteint à une rougeur quasi infernale). »


Une clameur monte à l’orchestre, s’amplifie un peu sur une note tenue… que l’on peut croire

finale… mais un accord bref, sec, plaqué, unique concession au style de la Jeune Ecole,

accompagne la chute rapide du rideau.

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POUR ECOUTER PAOLO E FRANCESCA DE LUIGI MANCINELLI


Le premier enregistrement disponible est le suivant :
 
Barbara De Maio (Francesca),

Donato Tota (Paolo),

Franco Vassallo (Gianciotto),

Stefano Montanari (Il Matto).

Orchestra « Pro Arte » - Marche ;

Coro Lirico « Mezio Agostini » di Fano, M°. del Coro : Angelo Biancamano.

Maestro Concertatore e Direttore : Marco Berdondini.

Enregistrement effectué au Teatro Masini de Faenza, lors de la représentation du 9 avril 1999

Durée d’exécution totale : 1h. 04mn.

Bongiovanni GB 2245-2


(http://www.bongiovanni70.com)

La « navigation » sur Internet réservait la surprise de découvrir l’existence d’un second

enregistrement : Il est publié par la firme Albany Records et réalisé avec l’« University of


Miami Opera ».

La distribution comporte Rosa Vento (Francesca), Leo Skeffington (Gianciotto) et les ténors

Nicholas Perna (Paolo ?) et Frank Ragsdale (Il Matto ?).

L’orchestre et les Choeurs sont : l’« University of Miami Symphony Orchestra » et

l’« University of Miami Opera Theater Chorus ».

La direction musicale est assurée par Russell Young.

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Durée d’exécution totale : 1h. 07mn. 30s.

Publié en 2005

Albany Records TROY732

…et peut-être un enregistrement « privé » de la reprise dans le lieu de la création :


Elena Rapita (Francesca), Giancarlo Monsalve (Paolo), Sung Woo Bu (Gianciotto), Enea

Scala (Il Matto).

Coro del Conservatorio di Musica "Giovan Battista Martini" di Bologna, Coro da Camera di

Bologna (dir. Pierpaolo Scattolin), Corale San Rocco di Bologna (dir. Marialuce Monari) ;

Maestro del Coro : Roberto Parmeggiani

Orchestra del Conservatorio di Musica "Giovan Battista Martini" di Bologna,

Maestro Direttore e Concertatore : Massimo Donadello

Bologne, « Teatro Comunale », 10 octobre 2006 (première représ.)
Précédé de l’Ouverture des Scene veneziane également de Luigi Mancinelli

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