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Friday, June 12, 2015

FRANCESCONIANA: I legami pericolosi; ovvero, 175 lettere raccolte in una società e pubblicate per l'istruzione di alcune altre

Speranza

Laclos naquit à Amiens le 18 octobre 1741, dans une famille récemment anoblis.

Laclos était le second fils, né trois ans après I'aîné, Giovanni Carlo Laclos (futur consul de France), d'un secrétaire de I'Intendance de Picardie et d'Artois.

Ayant fait des études sérieuses, Laclos se destina à l'armée, et, au moment où celle-ci devenait de plus en plus réservée à l'ancienne noblesse, choisit I'artillerie, une arme technique où I'on ne regardait pas de trop près à la naissance.

Laclos fut admis à l'école de La Fère, où il reçut une formation mathématique.

Laclos fut nommé sous-lieutenant et lieutenant en second et il obtint d'être affecté, à La Rochelle, à la brigade des colonies, ayant hâte de s’embarquer pour l’Amérique, et d’en découdre avec des ennemis, afin de conquérir la gloire par les armes.

Mais, en 1763,  le traité de Paris vint mettre un terme à la guerre de Sept Ans comme aux ambitions coloniales de la France, et, une longue et morne période de paix s’installant, condamna la plupart des militaires à mener une triste vie de garnison.

C'est ainsi qu’il séjourna à Toul, Strasbourg, Grenoble -- où, d'après une tradition accréditée par Stendhal, se seraient trouvés les modèles réels des ‘’Liaisons dangereuses’’, où il aurait eu sous les yeux une correspondance d'où il aurait tiré son roman,  plusieurs «clés» ayant été proposées --  Besançon, Valence avec mission d'installer l'école d'artillerie qui allait accueillir Bonaparte, et de nouveau Besançon, où il fut promu capitaine en second de sapeurs.

Il employa son abondant temps libre à composer des pièces légères, madrigaux ou contes, dont ‘’Les
désirs contrariés’’, ‘’Les souvenirs, épître à Églé’’, une ‘’Épître à Margot’’, deux contes libertins, ‘’La procession’’ et ‘’Le bon choix’’ (publiés dans ‘’L’almanach des muses’’), œuvres qui lui valurent un brin de réputation parfumée d’un peu de scandale, ainsi que la chanson ‘’Lison revenait au village’’ et une ‘’Êpître à la mort’’.

D'un roman «sensible» de Mme Riccoboni, il tira I'opéra-comique ‘’Ernestine’’ qui connut un échec retentissant n’ayant qu’une  représentation, cette même année, à la Comédie-Italienne.

Une autre pièce, ‘’La matrone’’ ne fut jamais jouée.

C'est peut-être à partir de 1778 qu’il commença la rédaction du roman qui allait immortaliser celui qui voulait produire quelque chose qui fasse du bruit et qui retentit  encore sur la Terre quand j'y aurai passé.

L'année suivante, Laclos dirigea les fortification de l'île d'Aix, au large de Rochefort, mission pour laquelle il fut mis à la disposition du marquis de Montalembert, pour l'épouse duquel il composa une ‘’Épître à Mme la marquise de Montalembert’’.

Dans la solitude de cette île, il poursuivit la rédaction de son roman.

Nommé capitaine de bombardiers, il envoya une première demande de congé, qui lui fut accordée, et lui permit de passer à Paris le premier semestre de l’année 1780, où il continua à travailler à son roman.

Une autre demande, favorablement accueillie fin 1781, lui laissa, alors qu’il avait été promu entre-temps capitaine commandant de canonniers, le loisir d'achever.

"Les liaisons dangereuses; ou, 175 lettres recueillies dans une société, et publiées pour I'instruction de quelques autres"

 Roman épistolaire de cent soixante-quinze lettres.
Les lettres sont précédées d'un ‘’Avertissement de l'éditeur’’ et d'une ‘’Préface du rédacteur’’.

Le roman s’ouvre sur une lettre (lettre 1) de Cecilia di Volanges, qui va sortir du couvent pour être mariée à un certain conte di Gercourt, par sa mère dévouée qui la surveille étroitement.

Or la marquise de Merteuil, libertine masquée en veuve respectable, parente de Cecilia di Volanges, apprenant ce projet de mariage, décide de se venger del conte di Gercourt, amant qui l’a quittée pour une autre femme.

Pour cela, comme la marchesa échange une correspondance scandaleuse avec son ami et amant, le vicomte de Valmont, un libertin riche, beau, charmant, plein d’esprit, mais impitoyable et éhonté, vivant dans l’oisiveté et cherchant toujours à acquérir plus de gloire en séduisant des femmes naïves de la bonne société, elle lui demande de conquérir, déshonorer et pervertir Cecilia, afin de ruiner le mariage del conte di Gercourt qui tient à la virginité de sa future épouse (lettre 2).

Mais Valmont refuse, et attise ainsi l'irritation de Mme de Merteuil.

Il se dit retenu à la campagne, chez sa tante, signora di Rosemonde, par un grand projet: avoir une femme qui y séjourne, qui est l’épouse du président de tribunal de Tourvel, femme qui est belle, pure, chaste, vertueuse et dévote, intouchable parce que fidèle à son époux et animée par un sens aigu du devoir et de l'honneur.

Il veut faire de cette séduction un exploit (lettre 4).

Alors que Signora presidente del tribunale di Tourvel croit pouvoir le «convertir» (lettre 8).

Cependant, ayant appris que Mme de Volanges, qui connaît son libertinage (mais pas celui de Mme de Merteuil), I'a dénoncé auprès de Mme de Tourvel (lettre 9), il accepte d’obéir à la marquise afin de se venger lui aussi de Mme de Volanges.

Il poursuivra de front les deux projets. Mais Mme de Merteuil est agacée par l’intérêt qu’il porte à Mme de Tourvel («Déjà vous voilà timide et esclave ; autant vaudrait être amoureux»), et lui rappelle les principes fondamentaux du libertinage, lui en proposant une illustration en expliquant la stratégie qu'elle mit en oeuvre pour séduire un certain Belleroche (lettre 10).

Cependant, Mme de Tourvel repousse avec horreur les avances du libertin, qui, comme chez elle la passion est en lutte avec la conscience, doit user de sa plus fine stratégie, lui faisant ainsi croire qu'elle a à sacrifier sa vertu pour sauver son âme à lui qui simule une violente passion. De lettre en lettre, elle paraît céder peu à peu, mais sa conduite reste irréprochable.

Or il se prend pour elle d'un amour véritable, dont s'offense Mme de Merteuil, qui, inquiète de l’ardeur qu’il met dans son entreprise, se moque de ses fausses manoeuvres (lettre 33), le met au défi de rompre, lui promet un «renouvellement de bail» avec elle : «Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m'en fournir la preuve, venez, je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans ce genre d'affaire on ne reçoit de preuves que par écrit, venez m'apporter le gage de votre triomphe...» (lettre 20). Cécile étant devenue sa «pupille», elle est désormais sa confidente, et l'encourage à aimer son maître de musique, le chevalier Danceny (lettre 16).

 Mais, à l’injonction de son confesseur, Cécile demande à Danceny de ne plus lui écrire. Pour s’attirer les faveurs de Mme de Tourvel, Valmont fait une bonne oeuvre en sauvant du «collecteur» une famille d’un village, se disant «étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien», et la dévote se laisse prendre aux apparences (lettre 22). Mais elle lui demande tout de même de ne plus lui écrire, et finit par obtenir de lui qu'il rentre à Paris.

Dans la deuxième partie du roman, Valmont et Mme de Merteuil sont tous deux à Paris, mais ne parviennent pas à se voir. Ils élaborent néanmoins leur plan de bataille contre Gercourt et la petite Volanges. Mme de Merteuil organise, entre Cécile et Danceny, un dernier entretien dont elle attend beaucoup. Valmont est chargé de faire la leçon à Danceny. Quant à Cécile, elle est vite revenue des bonnes dispositions où l'avait mise son confesseur. Désespérant de la mollesse de Danceny, Mme de Merteuil, voulant stimuler son ardeur par l'épreuve, révèle toute l'intrigue à Mme de Volanges, qui ferme sa porte au jeune homme, et emmène Cécile chez Mme de Rosemonde. C'est l’occasion pour Valmont de les suivre et de devenir l'intermédiaire entre les deux amoureux.

L’occasion aussi de retrouver Mme de Tourvel, qui ne peut s'empêcher de lui écrire pour se justifier ou s'accrocher désespérément à son devoir. Et il peut ainsi mener de front la séduction de Mme de Tourvel et la perversion de Cécile. Ayant fini par obtenir de cellle-ci la clé de sa chambre, profitant de la complicité involontaire de Danceny, c’est sous le prétexte de lui remettre une lettre de son amoureux qu’il s’y introduit alors qu’elle est endormie, qu’il la viole, puis apaise son émoi ; et, comme il lui a bientôt «tout appris», il fait de l'ingénue une libertine. Prise par le remords, elle se confie à Mme de Merteuil qui la console en lui présentant les avantages de sa liaison avec Valmont. Dans le même temps, la marquise dissuade Mme de Volanges d'annuler le mariage de Cécile et de Gercourt. La jeune fille, enceinte, fera une fausse-couche (lettre 140).

Se croyant quitte envers la marquise, Valmont retourne à ce qui le sollicite vraiment : la conquête de Mme de Tourvel. Mais cela déplaît à Mme de Merteuil, et, quand il se met en valeur en faisant le récit de ses derniers «exploits», elle lui répond par la longue lettre 81, lettre cinglante où elle entend lui prouver sa supériorité : «Et qu’avez-vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois?» lui demande-t-elle. Et de raconter sa vie, et le travail qu’elle a fait sur elle-même pour devenir une femme à la réputation inattaquable, qui, sous ce masque, intrigue, manipule tout le monde, et perd des réputations. Elle lui donne aussi une leçon de méthode.

Afin de prouver sa supériorité, elle élabore un stratagème par lequel elle feint de se laisser séduire par le beau Prévan, un autre séducteur célèbre, qui a la réputation de perdre les femmes, que Valmont, qui en est jaloux, lui avait présenté comme dangereux pour sa réputation, ces conseils de prudence l’irritant. Comme Prévan a parié de la conquérir, elle manigance une aventure dont il sort déshonoré, et lui inflige une punition cruelle (lettre 85). Elle triomphe d'autant plus qu'elle tient le sort de tous dans ses mains, tout en jouissant toujours de la confiance de la bonne compagnie.

La troisième partie du roman s’ouvre sur le silence de Valmont, qui tarde à entériner l’exploit de sa complice.

Enfin, il lui écrit, tentant encore, afin d’obtenir une nuit d’amour avec elle, de faire valoir ses propres exploits. Mais elle les conteste : il peut se prévaloir d’avoir le cœur de Mme de Tourvel, mais il ne peut toujours pas se vanter de l’avoir possédée ; quant à Cécile, c’était une proie bien facile, dont il est impossible de se glorifier. Il s’attriste de la mésentente qui est en train de s’installer entre Mme de Merteuil et lui. Il élabore un stratagème pour revoir Mme de Tourvel : il feindra une conversion religieuse, et proposera de lui rendre toutes ses lettres. Mais, près de succomber, elle choisit la fuite, le laissant désemparé. Il la fait alors épier par son «chasseur», Azolan, qui lui révèle les tourments de la jeune femme, et ses efforts pour ne pas lire les lettres qu’il lui écrit. Valmont cultive alors le rôle d'un pieux personnage, et sollicite de Mme de Tourvel une entrevue par l'intermédiaire de son confesseur, le père Anselme. Il se vante de son succès auprès de Mme de Merteuil, qui lui rétorque : «Vous ne possédez absolument que sa personne ; je ne parle pas de son coeur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guère ; mais vous n'occupez seulement pas sa tête» (lettre 113).

Lassée de son amant, Belleroche, elle le quitte, et se laisse faire la cour par Danceny, ce que Valmont réprouve et essaie de contrarier en rapprochant Cécile du jeune homme.

Le début de la quatrième et dernière partie présente la «chute» de Mme de Tourvel. Elle se refusait toujours, malgré I'amour qui la dévorait. Mais, invoquant toujours une prétendue conversion et sous prétexte de lui rendre ses lettres, Valmont obtient un rendez-vous ; après trois mois de résistance, elle cède enfin : «La voilà donc, vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu’elle pourrait me résister !» écrit-il, triomphal, à Mme de Merteuil (lettre 125).

Tandis que Mme de Tourvel avoue à Mme de Rosemonde son amour pour lui (lettre 128), avant de le voir en compagnie d’une «fille, bien connue pour telle», «une fille d'opéra», Émilie (lettre 135), il exige de Mme de Merteuil sa nuit d’amour (lettre 129). Mais elle la lui refuse, se jugeant insultée par son attitude fort cavalière, l’accusant d’être amoureux de Mme de Tourvel (lettre 134). Elle le met au défi de rompre, et lui fait parvenir un «petit modèle épistolaire» de lettre de rupture cinglante et destructrice qui commence par : «On s’ennuie de tout, mon ange, c’est une loi de la nature ; ce n'est pas ma faute.» (lettre 141). Par orgueil, il s'exécute, la recopie sur le dos d’Émilie, et l’envoie enfin à Mme de Tourvel, que pourtant il aime, sans penser aux conséquences d’un tel acte. Mme de Merteuil triomphe, et le fait savoir à Valmont : «Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Mme de Tourvel, et même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée.» (lettre 145).

Effectivement, Mme de Tourvel, qui s’est retirée dans un couvent, sombre dans la folie, et Valmont ne peut réparer sa faute. Et, lorsqu'il rappelle à Mme de Merteuil leur «traité», elle se refuse toujours à lui, et fait plutôt de Danceny son amant (lettre 146). L’ayant vue avec lui, il ne peut plus avoir le moindre doute sur sa trahison (lettre 151). Ulcéré, il lui envoie un ultimatum : «Le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent.» La réponse de Mme de Merteuil, écrite au bas de la même lettre, est : «Hé bien ! la guerre.» (lettre 153).

Pour se venger, Valmont rappelle à Danceny, dont il est le mentor, ses sentiments envers Cécile, et le ramène dans son lit. Le stratagème semble fonctionner. Mais Mme de Merteuil réplique, en montrant à Danceny les lettres de Valmont, lui dévoilant ainsi la séduction dont a été victime Cécile : outré, le chevalier provoque en duel le vicomte, et le blesse mortellement. Mais Valmont, avant de mourir, lui confie les lettres de Mme de Merteuil. Danceny, qui a perdu ses illusions, son amour pour Cécile de Volanges, avant de quitter Paris pour Malte, fait circuler ces lettres, en particulier la lettre 81 et celle qui relate le stratagème utilisé par Mme de Merteuil pour perdre Prévan. En apprenant la mort de Valmont, Mme de Tourvel meurt dans un délire de passion et de culpabilité (lettre 161).

Cécile, à la nouvelle de la mort de Valmont et du scandale qui compromet Mme de Merteuil, trompée par eux, mais aussi par Danceny, rentre au couvent, et décide même de prendre le voile. Sa mère, qui ne comprend rien, et pensait même à l’unir au chevalier, sur les conseils discrets de Mme de Rosemonde, accepte sa décision ; elle découvre à quel point elle a été trompée par Mme de Merteuil ; la mort lui a enlevé une amie en Mme de Tourvel. Mme de Rosemonde a perdu son neveu, Valmont, à qui elle vouait un amour tout maternel. Mme de Merteuil est publiquement démasquée, et Prévan réhabilité. Atteinte de la petite vérole, elle se trouve défigurée et devient borgne. De plus, elle perd sa fortune dans un procès qui était en cours.

Déconsidérée, huée au théâtre, réprouvée par toute la bonne société, elle doit fuir en Hollande.

Comme l’écrit Mme de Volanges dans la lettre qui clôt l’œuvre, qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse (Lettre 175).
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Dans "Les liaisons dangereuses" sont remarquables la forte valeur significative du titre, la tension continuelle du déroulement, la tonalité tragique, l’aspect technique essentiel qu’est le fait que c’est un roman par lettres.
Le titre est souvent pour beaucoup dans le succès d’une œuvre.

Celui-ci est remarquable.

Les mots «liaisons dangereuses» sont lourds d’une menace.

Et le pluriel a toute son importance, car ces liaisons sont d’autant plus dangereuses qu’elles n’épargnent personne.

Pourtant, si le terme de «liaison» peut aujourd’hui désigner une relation amoureuse, à l’époque de Laclos, ce sens n’existait pas, et les "liaisons" du titre renvoyaient exclusivement à des relations sociales, entre personnes amenées à se côtoyer dans les réceptions, à se fréquenter au théâtre, ou à des tables de jeu, sans que l’amitié, ou l’amour, y aient forcément leur part.

Dans la lettre 22, Mme de Tourvel indique à son amie, Mme de Volanges :


M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons --

le considérant donc comme la victime de fréquentations susceptibles de pervertir des êtres faibles, influençables. Mais Mme de Volanges ne croit pas à cette hypothèse, puisqu’elle lui fait un portrait très noir de Valmont, et conclut par ces mots.

Quand il ne serait, comme vous le dites, qu’un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-même une liaison dangereuse?» (lettre 32) Pour elle, la simple fréquentation de Valmont peut pervertir la réputation la plus établie.

Mais ce que le roman va démontrer, c’est que la liaison peut être mortelle.


L’anecdote est presque du feuilleton.

Une libertine, qui doit se dissimuler, exige d’un complice, qui peut agir à découvert, de la venger en séduisant une jeune innocente, ce qu’il ne fait qu’en se livrant aussi à un projet de conquête personnel qui déplaît à la libertine, qui se refuse donc à lui, d’où, entre eux, une lutte sans merci qui fait d’eux aussi des victimes, à l’issue d’un inexorable processus. La trajectoire est donc simple, l’action tendue et resserrée, le roman étant remarquable par sa composition rigoureuse, dans la succession des lettres comme dans la division en quatre parties à peu près égales, chacune formant un tout.
La première partie (lettres 1 à 50) a pour première fonction d’exposer, comme on le fait dans une pièce de théâtre, la situation des personnages.

Deux lettres de Cécile.

Deux lettres de Mme de Merteuil

Une de Valmont nous installent «in medias res».

En vingt pages tous les personnages sont présentés.

 Le roman commence lorsque sont réunies les conditions pour que l’intrigue se noue : tandis que Cécile entre dans le monde, Valmont s’en est retiré, et Mme de Merteuil lui écrit : «Revenez, revenez», cette impatience devant son absence annonçant le thème du roman qui est la rivalité entre les deux libertins, personnages avec lesquels nous faisons connaissance, et dont le passé pèse sur les évènements qui vont être retracés. Dès la première lettre de Mme de Merteuil (lettre 2), on peut constater que naît entre les deux roués une rivalité, et que la complicité qui les unit est périlleuse, la volonté de puissance de l’une, l’esprit d’indépendance de l’autre perçant sous l’ironie et le badinage. Alors qu’elle lui demande de pervertir Cécile de Volanges, qui se sent attirée vers Danceny, il s’attache plutôt à séduire Mme de Tourvel, au grand mécontentement de Mme de Merteuil.

************************ PARTE II: LETTERE 51 a 87 *************************

La deuxième partie (lettres 51 à 87) est apparemment la moins dramatique ; les progrès du vicomte auprès de la présidente, et ceux de Danceny auprès de Cécile sont très lents ; mais s’exerce l’activité inlassable de Mme de Merteuil : elle trahit Cécile et Danceny auprès de Mme de Volanges pour accélérer le cours des évènements, et permettre à Valmont d’intervenir dans leur intrigue ; elle pousse sournoisement Mme de Volanges à emmener Cécile chez Mme de Rosemonde, et ménage à Valmont les moyens d’y retourner sans effaroucher la présidente ; enfin elle parachève cette partie par sa fameuse confession (lettre 81).

************************** PARTE III: LETTERE 88 a 124 ************************

Le mouvement dramatique est relancé dès l’ouverture de la troisième partie (lettres 88 à 124) : Valmont remporte une double victoire sur la présidente et sur Cécile. Dès lors, les deux intrigues vont bon train. D’une part, Mme de Tourvel avoue qu’elle aime Valmont, et cherche son salut dans la fuite tandis qu’il prépare l’assaut final grâce à la complicité involontaire du père Anselme. D’autre part, dans le même temps, Cécile se livre à Valmont qui la corrompt, alors que Danceny manifeste les premiers signes de son goût pour Mme de Merteuil.

************************** PARTE IV: LETTERE 125 a 175 **************************

Enfin, c’est au cours de la quatrième partie (lettres 125 à 175) que l’action atteint son paroxysme.

Défaite, abandon puis mort de la présidente, fin de la liaison entre Cécile et Valmont.

Brèves amours entre Danceny et Mme de Merteuil que peut constater Valmont, une grande partie de la force du roman venant précisément de ce qu’il ne la rencontre que le 3 décembre (lettre 151).

Querelle et brouille entre elle et Valmont.

Le roman s’achève par une accumulation foisonnante d’évènements.

Le duel de Danceny et de Valmont, la mort de Valmont, le brillant libertin agonisant en amoureux désespéré d’avoir détruit celle qu’il aimait, la mort de celle-ci qui succombe à la souffrance morale qui l’agite, l’exil de Danceny, la retraite de Cécile au couvent, les épreuves qui s'abattent sur Mme de Merteuil qui perd sa situation sociale e sa richesse.

On peut donc se demander si c’est vraiment elle qui triomphe, en obtenant la mort de Valmont, ou si ce n’est pas lui, puisqu’il lui fait perdre une solide réputation que toute sa vie elle s’était attachée à préserver, et qu’il meurt noblement en duel?

Et la fin de Mme de Merteuil demeure énigmatique, car courent à son sujet des rumeurs.

On m’a dit qu'elle était vraiment hideuse.

On croit qu’elle a pris la route de la Hollande, que personne ne peut confirmer, aucun des personnages ne la revoyant.

Il y a donc, à la fin, un mystère encore plus grand autour d'elle, et elle devient presque un personnage légendaire.
Cette structure qui porte la marque du théâtre allait se retrouver dans les structures des différentes adaptations au théâtre ou au cinéma.

Mais le tempo du roman est très lent pour une action en définitive très courte, qui ne dure que cinq mois, du fait que le volume moyen des lettres est important, car les personnages veulent exprimer le plus possible de leur vie intérieure réelle ou simulée, qu’ils s’appliquent à la description des divers états par lesquels ils passent, mettent un grand soin à noter les aspects progressifs d’une pensée instable, sans cesse à la poursuite de celle d’autrui, et qu’au moment où elles vont coïncider, elle s’écartent désespérément.
Si l’on se contente d’un examen superficiel, de l’idée qu’on se fait communément des ‘’Liaisons dangereuses’’, on pourrait y voir un roman d’amour ou un roman érotique.

En fait, on n’y parle pas d’amour, mais de mépris, de manipulations, de perversité, de jeu cruel, de mécanique sadique accomplie.

D’autre part, il est vrai qu’on y trouve des scènes qui pourraient être sensuelles :


La soirée qu’organise Mme de Merteuil dans une «petite maison», lieu de rendez-vous où elle met «le déshabillé le plus galant» qui «ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner», où elle se donne sur une «ottomane», faisant de son partenaire «comme un sultan au milieu de son sérail», étant, pour lui, «tour à tour les favorites différentes»  (lettre 10) ;

Le stratagème de Valmont qui, pour obtenir les lettres qui se trouvent dans les poches de Mme de Tourvel, profite du fait que son «chasseur» est l’amant de sa chambrière (lettre 44).

La rédaction d’une lettre d’amour de Valmont à Mme de Tourvel sur le dos de «la fille d’opéra», Émilie, transformée en pupitre (lettre 47).

Le récit de l’aventure de Prévan où il séduit en même temps trois femmes, affronte leurs maris, les retourne en sa faveur pour organiser, dans sa «petite maison», une orgie à la suite de laquelle les trois femmes sont délaissées (lettre 79).

Le récit que Mme de Merteuil donne de son éducation sexuelle (lettre 81).

Le viol de la naïve Cécile, qui, surprise dans son sommeil, se défend «d’un baiser, qui n’était qu’une fausse attaque» alors que «tout le reste était laissé sans défense» ; qui cherche à tirer la sonnette, alors que Valmont l’en empêche, qu’en même temps il la caresse tout en lui parlant («Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel orateur pourrait prétendre à la grâce en pareille situation?»), qu’il parvient à lui donner des baisers ; que «la main» dont elle se protégeait s’étant «retirée», il indique : «Je ne sais par quel hasard, je me suis trouvé moi-même à sa place», prenant alors «goût aux lenteurs» jusqu’à ce qu’elle ait «fini même par consentir» et que, «de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l’un de l’autre» (lettre 96).

La description assez précise de l'état voluptueux dans lequel s’abandonne un instant Mme de Tourvel, ainsi que le raconte Valmont : «Une main était restée dans la mienne ; le joli corps était appuyé sur mon bras, et nous étions extrêmement rapprochés», ce qui, pour lui, annonce «le consentement de l’âme», alors que, «tout à coup, le regard s’est éteint, la voix a manqué, et cette femme adorable est tombée dans mes bras», et que «à peine avais-je eu le temps de l’y recevoir, que, se dégageant avec une force convulsive, la vue égarée et les mains élevées vers le ciel», elle se soit écriée : «Dieu…, ô mon Dieu, sauvez-moi !» (lettre 99).

La conquête enfin de cette prude, où, une longue discussion s’étant engagée, Valmont constate : «Comme en amour rien ne se finit que de très près, et que nous étions alors assez loin l’un de l’autre, il fallait avant tout se rapprocher» ; il en arrive à «la presser de ses bras sans qu’elle se défendît aucunement», feint de vouloir s’éloigner pour la voir «tomber évanouie entre [s]es bras», la porte «vers le lieu précédemment désigné pour le champ de [m]a victoire», de nouveau une «ottomane», parvient à un «heureux succès», doit la consoler et la rassurer par l’affirmation du «bonheur» qu’il a connu, tente alors «un second succès» où elle lui «livre sa personne et ses charmes» jusqu’à ce que «l’ivresse fut complète et réciproque», la sienne «pour la première fois survivant au plaisir» (lettre 125).
Mais, dans ces scènes, on est loin de la sensualité dévergondée de nombre d'oeuvres de l'époque (celles de Nerciat, de Louvet de Couvray, de Blessebois, de Choudard-Desforges, d’Argens, de Fougeret de Monbron, de John Cleland, et même de Diderot [‘’Les bijoux indiscrets’’]).

Ici, l'érotisme est toujours un érotisme de tête.

Mme de Merteuil et Valmont sont complices d'abord, et peut-être exclusivement, par la nature de leur intelligence : leur machiavélisme, allié au voyeurisme qui explique la jouissance qu'ils peuvent prendre aux récits de leurs exploits respectifs, atteste leur cérébralité.

Le plaisir n'est pas décrit avec précision.

Aucun détail ne transpire, on ne sombre pas dans les tableaux graveleux, lubriques ou obscènes.

Ce qui importe toujours, ce n’est pas l’acte, c’est son récit, et ses conséquences.

Les scènes sont le plus souvent narrées à l’aide de

-- sous-entendus, de
-- litotes ou d’
-- euphémismes.


Si on peut relever des jeux de mots grivois dans la correspondance des deux roués (il est ainsi question d’un comte qui a «le plus beau bois du monde, qu’il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis» [lettre 59], ce qui est une de ces équivoques grossières chères au libertinage du XVIIIe siècle), ils sont davantage des politesses de conversation, destinées à agrémenter la lettre, que des motifs licencieux livrés au lecteur égrillard.

 De plus, comme ils relèvent le plus souvent de la double entente, ils confirment ainsi leur habileté stylistique. Même si certains passages ont valu son succès de scandale à l’œuvre, Laclos n’était pas Sade. Si Valmont songe à composer un «catéchisme de débauche» pour «[s]on écolière», Cécile (lettre 110), le lecteur ne le feuillette jamais.
En fait, leur déroulement fait plutôt des "Liaisons dangereuses" une tragédie, les différentes parties du roman fonctionnant comme les actes d’une TRAGEDIA classique greco-romana.

On voit s’enclencher un enchaînement inéluctable, où, devant des témoins abusés (Mesdames de Rosemonde et Volanges), sont victimes des manoeuvres perverses et subtiles de deux libertins (Valmont et Mme de Merteuil) des êtres jeunes et faibles (Cécile, Danceny, madame de Tourvel), une retraite lointaine s’imposant à trois des protagonistes (Cécile, Danceny, Mme de Merteuil), la mort étant infligée à une victime (madame de Tourvel) et à son bourreau (Valmont) qui avait, sans le savoir, annoncé cette mort.

Laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui en effet ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie.
---- Lettre 12.

Le harcèlement, le combat que se livrent les deux libertins, qui apparaît tout d’abord comme un jeu de séduction, se transforme en rivalité destructrice.

Leurs manœuvres sont si habiles et subtiles que même une narration conventionnelle devrait être suivie avec attention, car tout n'est que calcul et manipulations, tactique et stratégie, marches d'approche et batailles, conquêtes et retraites, victoires et défaites, toute cette terminologie militaire aboutissant à la nette  déclaration de guerre de la lettre 153.


Dans la remarquable articulation des intrigues et des épisodes entre eux et par rapport au conflit des deux protagonistes, des péripéties, qui sont de véritables coups de théâtre, rythment l’action, et tiennent le lecteur en haleine : mise en garde de Mme de Volanges à la présidente de Tourvel au sujet de Valmont, découverte par celui-ci de son «ennemie», projet de perdre Cécile, découverte par Mme de Volanges des amours clandestines de Cécile avec Danceny, refus de Cécile de voir Valmont la nuit,  fuite de la présidente, victoire de Valmont, rencontre par la présidente de Valmont en compagnie d’Émilie, rupture entre Valmont et la présidente, guerre entre Valmont et Mme de Merteuil.

Si toutes ces péripéties ont pour but de changer la situation, il y en a toutefois une qui ne sert à rien :  celle de la grossesse de Cécile, qu’elle ignorait (d’ailleurs, Valmont indique : «Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu'aux complaisances ! je n'ai excepté que les précautions.» [lettre 110]), qui intervient d’une façon assez conventionnelle, qui aurait pu accroître la confusion et le malheur, mais qui est escamotée par une intempestive fausse-couche (lettre 140) dont le secret est gardé ; cet épiphénomène devient donc inutile, et on peut se demander : pourquoi l’avoir inventé, et pourquoi ne pas l’avoir tout simplement supprimé?

D’autre part, Georges Poulet a pu remarquer que s'introduit subrepticement, dans un roman qui est celui de la conquête préméditée d'une victime par un séducteur, un autre roman, inattendu, imprévisible, qui est celui de la conquête non préméditée du séducteur par la victime.

Et pendant tout le cours des ‘’Liaisons dangereuses’’, ces deux romans hostiles ne cesseront de s'entrepénétrer et de se combattre. Duel subtil, qui n'est pas seulement celui de deux personnes, mais de deux espèces différentes de destins. Car, à mesure que le séducteur approche de son triomphe, il approche aussi de sa défaite. Et, si son triomphe était prédéterminé, sa défaite au contraire est tout accidentelle.
Surtout, dans ce roman construit comme une pièce de théâtre, le dénouement, qui est frappant par sa rigueur logique, fait culminer une fatalité tragique qui est présente à chaque instant, Mme de Tourvel  ayant conscience de «la fatalité qui la poursuit» (lettre 108), avouant : «Ce fatal voyage m’a perdue», dénonçant le «fatal effet d’une présomptueuse confiance» (lettre 103).

À la fin de ce qu’on peut voir aussi comme une véritable partie d'échecs où cette excellente tacticienne qu’est Mme de Merteuil, qui n’avait fait des autres que des pions qu'elle mettait en mouvement, perd la maîtrise du jeu dans les coups rapides qui se succèdent alors. Elle a déclenché un mécanisme, qui conduit à des catastrophes où les masques tombent, les châtiments se précipitent, la volonté de puissance devient destructrice. Tout s’achève donc bien comme dans une tragédie classique. Et, alors que l’ensemble du roman se caractérise par un dépouillement et une sécheresse exceptionnels, car il ne tombe pas dans la prolifération, dans l’excès de psychologie ou dans le raffinement, tentation ordinaire des auteurs de romans d’analyse, dans ce dénouement on trouve un luxe narratif qui peut sembler excessif.

Aussi Grimm put-il lui reprocher son invraisemblance moliéresque, son artifice.

Mais Baudelaire comprit que c'est la brouille de ces deux scélérats qui amène les dénouements.

Giraudoux indiqua que les deux libertins mènent à leur déchaînement final et à leur vrai et irrémédiable aboutissement toutes les passions auxquelles les plus grands drames n’ont donné que des conclusions unilatérales et bourgeoises.
On peut encore remarquer que, dans ce roman, comme dans une TRAGEDIA, le nombre des personnages est réduit.

Et que sont respectées les traditionnelles règles de l’unité d’action, de l’unité de temps et de l’unité de lieu.

La société où se joue le drame est peu nombreuse, et ces gens du monde sont liés par

a) la naissance
b) la parenté
c) l’amitié:

La signora di Volanges est la cousine della marchesa di Merteuil, et l’amie intime de la présidente del tribunal de Tourvel.

Valmont est l’ami della marchesa di Merteuil.

c) L’éducation et
d) les manières.

Puisque les deux victimes de Valmont ne connaîtraient pas le misérable sort qui leur est réservé sans Mme de Merteuil qui aspire à se venger d’un infidèle en corrompant sa fiancée, et d’une rivale en punissant la présidente de Tourvel, toutes les autres intrigues sont subordonnées au conflit des libertins, entre lesquels il y a un «compte ouvert»  (lettre 169).

Elles sont les moyens par lesquels ils cherchent à s'arracher I'un à I'autre I'aveu qui consacrerait leur supériorité.

Le roman, soumis en quelque sorte à la règle de l’unité de temps, décrit une crise qui dure cinq mois environ, durée dont l’auteur a tenu à souligner la brièveté en donnant des dates précises à ses lettres.

Enfin, au resserrement de l’action dans le temps, correspond un resserrement du nombre des lieux.

Hormis quelques séquences secondaires qui transportent le lecteur dans le château de la comtesse ou dans la maison d’Émilie, l’intrigue se déroule à Paris et dans le château de Mme de Rosemonde.
Permettant un accès à une intimité interdite, féminine en particulier, à la sphère du privé, aux choses cachées et aux secrets des autres, le roman par lettres (ou roman épistolaire)  provoque cet intérêt de curiosité.

Le lecteur externe, virtuel, que nous sommes par rapport aux véritables destinataires des lettres, a un statut ambigu dans la mesure où il lit une correspondance qui n’était pas écrite pour être publiée (dans la logique de la fiction voulue par le péritexte et proclamée bien haut).

 Ce lecteur indiscret, non prévu par le texte, est en quelque sorte un voyeur.

Le roman par lettres, en multipliant le nombre des épistoliers, exploite la polyphonie.

Mais le lecteur seul disposant de l’intégralité de la correspondance profite ainsi d’une vue surplombante sur l’ensemble de l’action.

Les lettres créent un continuel décalage entre l’expression et la chose signifiée.

Si elles sont censées être sincères en découvrant ce qui est caché, elles sont en fait des mises en scène où on embellit ou gomme les choses, mettent en évidence la duplicité et le calcul des personnages, sont des moyens de gouverner les actions d'autrui, d’exercer des manipulations parfois complexes, surtout lorsqu'elles sont placées sur une trajectoire qui touche plusieurs destinataires.

Le genre du roman par lettres permet d'utiliser à des effets pathétiques le délai qui sépare la rédaction de la réception, et à des effets de perspective la diversité des correspondants, qui donnent d’un même événement des interprétations différentes.
Laclos profita de la grande vogue du genre au XVIIIe siècle, vogue due à la lassitude du public à l’égard de la fiction romanesque, qu’il critiqua d’ailleurs au passage en faisant dire à Mme de Merteuil, qui s’adresse à Valmont.

Il n'y a rien de si difficile en amour, que d'écrire ce qu’on ne sent pas.

Je dis écrire d'une façon vraisemblable.

Ce n'est pas qu'on ne se serve des mêmes mots.

Mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, et cela suffit.

C'est le défaut des romans.

L'auteur se bat les flancs pour s'échauffer, et le lecteur reste froid.

"Eloisa" est le seul qu'on en puisse excepter.

Et malgré le talent de l'auteur, cette observation m’a toujours fait croire que le fonds en était vrai.
----- Lettre 33.
.
Le roman épistolaire s’était imposé d’abord avec "Les lettres persanes" (1721) de Montesquieu, œuvre qui mêle subtilement les réflexions philosophiques et politiques à des intrigues de sérail.

Puis Samuel Richardson connut un succès immense avec ‘’Paméla ou la vertu récompensée’’ (1740) et ‘’Clarisse Harlowe’’ (1747-1748).

 Enfin, parut l’«Eloisa» dont parlait Laclos, qui est évidemment ‘’Giulia ossia la nuova Eloisa’ (1761), le roman épistolaire de Jean-Jacques Rousseau, qui utilisa lui aussi la polyphonie, mais fit surtout de la lettre un instrument d’analyse psychologique, un témoignage de sentiments authentiques.

Ces romans épistolaires servirent de modèle à Laclos, surtout celui de Rousseau auquel il se référa d'ailleurs directement puisqu'il reproduisit son épigraphe en tête de son propre roman.

J'ai vu les moeurs de mon temps, et j'ai publié ces lettres.

Autrement dit, il n’innova pas en choisissant la forme épistolaire.

Il emprunta à Montesquieu l’utilisation subtile des décalages temporels et géographiques engendrés par la correspondance, à Rousseau la finesse des sentiments, le plaisir de la conversation entretenue par lettres interposées, à Richardson ses personnages de séducteurs et de femmes qui sont leurs victimes.

Mais il porta le genre à sa perfection grâce à une utilisation magistrale de cette technique.

Il exploita en virtuose les possibilités du roman épistolaire avec une ironie retorse qui en déplaça considérablement les effets et le sens.

Il voulut faire croire à la vérité de ces lettres, et à l’existence des épistoliers.

Pour conforter cet effet de réel, il mit en place, dans l’’’Avertissement de l’éditeur’’ et dans la ‘’Préface du rédacteur’’ une stratégie du doute, bien connue des auteurs de romans épistolaires : tandis que le rédacteur présente l'ouvrage comme un recueil de letttres extrait d'une correspondance authentique, prétend que ce sont des lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres.

L’éditeur écrit.

Nous croyons devoir prévenir le public que, malgré le titre de cet ouvrage et ce qu’en dit le rédacteur dans sa préface, nous ne garantissons pas l’authenticité de ce recueil, et nous avons même de fortes raisons de penser que ce n’est qu’un roman.

La prétention du rédacteur pose un problème de vraisemblance.

Comment a-t-il pu recevoir communication des lettres, les rassembler alors qu'elles devraient se trouver dans les mains de leurs destinataires?

Il précise qu’il a supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces lettres.

Et le même souci du respect de l’anonymat des épistoliers explique la suppression des noms de lieu -- par exemples: aux Ursulines de, au Château de, et l’incomplétude du millésime des lettres.

Elles sont datées du 3 août 17** au 14 janvier 17**.

Mais cette stratégie était, au XVIIIe siècle, une convention tacite entre l’auteur et le lecteur, qui assurait à ce dernier une grande liberté d’interprétation.

Il pouvait penser que cette correspondance était authentique, et même chercher des clefs pour savoir quelles personnes réelles se cachaient derrière les personnages du roman.

Ou bien il pouvait accepter l’idée que le roman avait parfaitement suppléé la réalité, et qu’en tant que tel, il est captivant.

Le lecteur d’aujourd’hui sait bien qu’il s’agit d’un roman inventé et entièrement composé par Laclos.

Cela ne l’empêche pas d’apprécier l’œuvre.

Au contraire, il ne peut qu’admirer la véracité des personnages imaginés, et la qualité de leur correspondance.

On a pu dire que ‘’Les liaisons dangereuses’’ se confondent si bien avec le genre épistolaire qu'elles I'ont épuisé, comme Racine, la tragédie.
On peut, dans ‘’Les liaisons dangereuses’’, distinguer différents types de lettres:

1)  La confidence: à mi-chemin du journal intime, elle est caractéristique des lettres de Cécile de Volanges.

2) La déclaration d'amour:

 souvent fausse (c'est le cas des lettres de Valmont à Mme de Tourvel), elle peut être sincère (c'est le cas des lettres de Cécile et de Danceny qui forment comme un contrepoint de fraîcheur et de sincérité).

Mais Mme de Merteuil en prévient Valmont : la lettre ralentit la conquête amoureuse (lettre 33).

3) Le récit : la lettre est alors, pour les libertins, un bulletin  de campagne ou de victoire qui souligne la complicité du scripteur et de son destinataire.

Mais le récit en est plus ou moins sincère (ainsi dans la lettre 10, où Mme de Merteuil veut rendre Valmont jaloux).

4) L'analyse psychologique qui est caractéristique de l'inspiration de Mme de Merteuil, comme de ses stratégies machiavéliques (ainsi la lettre 38, où elle discerne en Cécile une libertine potentielle).

5) L’injonction, la lettre devenant mise en garde ou demande de conseils ou menace (lettre 153), et manifestant l'interdépendance progressive de certains personnages.

Quel que soit le type de lettre, il n'en est pas d'innocente, car elle peut être utilisée, être même une arme dangereuse puisqu'elle garde la trace intime des passions (lettre 26).

C'est d'ailleurs ce que Valmont rétorque à Mme de Merteuil (lettre 34) en montrant comment obliger par ruse à lire une lettre est un pas essentiel dans la conquête amoureuse.
Laclos fit de la lettre un usage particulier.

Alors que, chez ses prédécesseurs, elle se contentait de raconter l’événement ou les sentiments, chez lui, non seulement elle raconte l’évènement mais elle le fait aussi.

Elle est à la fois moyen d’action et action, une arme et aussi une clef qui ouvre bien des portes, comme on le voit dans le cas de Valmont puisque c’est sous le prétexte de remettre à Cécile une lettre de son amoureux, Danceny, qu’il s’introduit dans sa chambre ; que c’est encore sous le prétexte de lui rendre ses lettres qu’il obtient de Mme de Tourvel un rendez-vous avec elle, et la séduit. Mme de Merteuil, qui prétend ne pas croire au pouvoir des lettres (lettre 33), raconte pourtant longuement le piège où elle a fait tomber Prévan, et retrace toute sa carrière de libertine, ces narrations étant des actes puisqu'elles sont destinées à Valmont (lettres 81 et 85). En vérité, elle n'est pas de bonne foi quand elle se moque d’une entreprise épistolaire de séduction : quelle que soit sa pensée réelle sur l’effet des lettres de Valmont à Mme de Tourvel, elle veut surtout lui faire entendre que celles qu'il lui envoie à elle-même n’ont aucun effet, et, ce faisant, elle livre le combat sur le bon terrain, celui de la correspondance. Cet effet direct des lettres explique aussi pourquoi Valmont et Mme de Merteuil commentent si prolixement leurs projets, leurs actes et leurs écrits.

D’autre part, l’effet de mise en scène qu’impliquent les lettres est très remarquable dans ‘’Les liaisons dangereuses’’ dont le «rédacteur» signale que «presque tous les sentiments qu'on y exprime sont feints ou dissimulés».

Comme I'affirme la marquise, écrire à quelqu'un, c'est «chercher moins à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaît davantage» (lettre 105). Chaque correspondant exprime donc autant l'image qu'il veut donner de lui à son destinataire que la vérité de ce qu'il est, et la lettre est souvent le résultat d'un geste de feinte, d'imitation.

Laclos utilisa les effets de perspective que permet la diversité des correspondants, qui donnent d’un même événement des interprétations différentes ; ainsi, l'acte de «charité» accompli par Valmont est raconté successivement par lui à Mme de Merteuil, et par Mme de Tourvel à Mme de Volanges (lettres 21 et 22). Il utilisa les effets pathétiques que crée le délai qui sépare la rédaction d’une lettre de sa réception ; ainsi, la lettre où Mme de Rosemonde félicite Mme de Tourvel d'être à I'abri d'une dangereuse séduction, maintenant que Valmont est converti («Dieu […] vous a secourue»), où elle la loue de sa «courageuse résistance», parvient à la destinataire quand celle-ci est devenue sa maîtresse (lettre 126).

Mais, chez Laclos, ces effets ne tiennent pas seulement à la nature de toute correspondance, ils sont commandés par la volonté des libertins, leurs mensonges, leurs manœuvres ; ils prennent ainsi une valeur ironique : tous les correspondants de Valmont et de Mme de Merteuil sont mystifiés. Les lettres des victimes (au sens large : Mme de Volanges et Mme de Rosemonde en sont aussi bien que Cécile et Mme de Tourvel) sont sincères, mais ridicules ou pitoyables par leur impropriété et leur manque d'à propos ; les lettres des libertins sont hypocrites et mystifiantes lorsqu'ils écrivent à leurs victimes, mais elles sont des lettres de dévoilement ou de mise en garde lorsqu’ils s'écrivent entre eux, ce dévoilement étant toutefois lui-même une mystification au second degré, tout ce que chacun déclare étant faux par I'intention quand il s'adresse à I'autre. On rêve d'un instrument d'analyse stylistique qui déterminerait exactement le dosage du mensonge, de la vérité et de I'illusion dans chaque lettre.
Le roman épistolaire est un roman du point de vue, de la multiplication des points de vue, l'absence de narrateur donnant aux personnages leur pleine liberté, laissant à l'échange de lettres le soin de planter les rapports entre eux, et permettant au lecteur de recomposer l'ordre de la narration grâce aux recoupements qu'il peut opérer. Ces jeux, dont Laclos usa subtilement, pourraient souffrir d'une vue d'ensemble immédiatement synthétique.

Dans cette polyphonie, ce vrai kaléidoscope, cette sorte de puzzle que le lecteur a à reconstituer, l'art du romancier se manifestant dans l'agencement des lettres, comme chaque épistolier parle nécessairement de ce qu'il connaît, comme plusieurs correspondances s’entremêlent, un effet de contrepoint est produit.

Le lecteur, qui, disposant de l'ensemble, jouit d’une position privilégiée sur les personnages, n'assiste pas de face seulement au jeu de massacre, mais I'envers de la lutte aussi lui est connu. Grâce aux éclairages multiples dont il dispose, il peut mesurer l'erreur de jugement des personnages, percevoir tantôt l'illusion des victimes qui ignorent la nature de la situation où elles sont impliquées, tantôt Ia relation entre un dessein arrêté d'avance et sa réalisation, tantôt a posteriori la cause secrète des faits qui l’avait d'abord surpris. Il constate l'ingénuité de Cécile (lettres 7, 27, 29), la naïveté de Mme de Tourvel qui se trompe sur Valmont (lettres 8, 11, 22) ou celle de Mme de Volanges qui se trompe sur Mme de Merteuil (lettre 32). Il découvre la duplicité de Mme de Merteuil à l'égard de Belleroche (lettres 10 et 13). Il peut, en comparant les lettres 21 et 22, juger de la «charité» dont Valmont veut aveugler Mme de Tourvel. Il savoure les doubles sens de la lettre 48 en la confrontant à la lettre 47, où il apprend que «l'autel d'amour» est le dos de la courtisane Émilie. Il peut opposer les lettres d'amour de Valmont à Mme de Tourvel (lettre 68) au commentaire qu’il en fait pour Mme de Merteuil (lettre 70). Il peut remarquer que les poses étudiées de celle-ci pour Prévan (lettre 85) sont démasquées par le récit, faussement indigné et vertueux, de l'aventure (lettre 87). Il peut apprécier la différence entre les deux récits du viol de Cécile : celui que fait Valmont (lettre 96) et celui qu’elle-même fait (lettre 97), cette juxtaposition permettant de souligner la supérorité de l’un, l’infériorité de l’autre. Il peut goûter l’ironie de certains épisodes qui révèlent le mensonge essentiel des rapports humains.
Si l'articulation des intrigues et des épisodes entre eux et par rapport au conflit des deux protagonistes est admirable, encore plus admirable est l’articulation des lettres entre elles et par rapport au plan des faits. Elles suivent le calendrier, mais sont en fait placées dans un ordre savant qui permet de jouer sur les échos (le «danger des liaisons» [lettres 22, 32, 63]), les ruptures de ton (lettres 80, 81, 82), les décalages (la lettre d'amour de Valmont à Mme de Tourvel [lettre 68] est confrontée au commentaire que le même en fait pour Mme de Merteuil (lettre 70) ; les poses étudiées de celle-ci pour Prévan (lettre 85) sont démasquées par le récit, faussement indigné et vertueux, de l'aventure (lettre 87).
‘’Les liaisons dangereuses’’, roman épistolaire où est maintenue la tension continuelle d’une véritable tragédie, sont donc un chef-d'oeuvre d'élaboration narrative.

La réalisation romanesque de l'analyse psychologique supposant le raffinement de la langue, ‘’Les liaisons dangereuses’’ sont brillantes aussi par leurs qualités littéraires, non tant par les caractères de la langue que par la «variété des styles» qu’entraîne le roman par lettres.
La langue est celle du XVIIe siècle, mais n’étonne guère que par quelques usages.

En ce qui concerne le lexique, on remarque :

«appui d'une maison si illustre» (lettre 163) : Fils, héritier, d’une famille illustre ;

«articuler» (lettre 122) : Affirmer catégoriquement ;

«à toute course» (lettre 21) : En courant ;

«billet de La Châtre» (lettre 57) : Promesse illusoire par allusion à celle que Ninon de Lenclos avait faite par écrit au marquis de La Châtre, et dont elle s’amusait ;
-
«capucinade» (lettre 51) : Banal discours de morale, comme en faisaient les moines capucins ;
- «cartel» (lettre 79) : Carte, papier par lequel on provoquait quelqu’un en duel ;
- «chasseur» (lettre 44) : Domestique en livrée de chasseur qui montait derrière la voiture de son maître ;
- «chevaux de poste» (lettre 10) : Chevaux qu’on trouvait sur les routes, à intervalles réguliers, pour remplacer ceux qu’on avait trouvés au poste précédent ;
- «collecteur» (lettre 21) : Huissier ;
- «confluente» (lettre 173) : La petite vérole était dite «confluente» quand les boutons et les pustules se touchaient sur tout le corps ;
- «le drôle» (lettres 21, 44) : Homme roué à l’égard duquel on éprouve de l’amusement ou de la défiance ;
- «école» (lettre 33) : Au jeu de trictrac, faute qu’on fait dans le calcul des points ; d’où, métaphoriquement : faute digne d’un écolier ;
- «des éducations» (lettre 151) : Des leçons ;
- «empire» (lettre 90) : Pouvoir, puissance ;
- «entrer en composition» (lettre 96) : Accepter de transiger, de trouver un accommodement ;
- «espèce» (lettre 5) : «L’opposé de l’homme de considération» (Duclos) ;
- «fille» : Jeune femme qui mène une vie de débauche. Prostituée.
- «gêner» (lettre 150) : Torturer.
- «heureux succès» (lettre 125) : Le mot «succès» signifiait autrefois ce qui arrivait de bon ou de mauvais à la suite d’un fait ;
- «in fiocchi» (lettre 1) : En grande tenue ;
- «lansquenet» (lettre 85) : Jeu de cartes ;
- «lice» (lettre 85) : Champ clos où se déroulaient les tournois ;
- «livre» (lettre 21) : Unité monétaire basée sur l'argent, dont la valeur et les subdivisions ont varié suivant les pays et les époques ; en France, sous l'Ancien Régime, était le plus couramment utilisée la livre tournois (c'est-à-dire de Tours) ;
- «macédoine» (lettre 85) : Laclos indiqua en note : «Quelques personnes ignorent peut-être qu’une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard parmi lesquels chaque coupeur a droit de choisir lorsque c’est à lui à tenir la main. C’est une invention du siècle.»
- «objet» : Être suscitant un intérêt : «les objets les plus chers ! Ma fille, et mon amie !» (lettre 175).
- «petite maison» (lettre 10) : Maison consacrée aux rendez-vous galants, dont il était fait mention chez tous les conteurs libertins du XVIIe siècle ;
- «petite poste» (lettre 63) : Système d’acheminement du courrier à Paris, la «grande poste» fonctionnant pour la province ;
- «prendre jour» (lettre 10) : Prendre rendez-vous ;
- «prendre poste» (lettre 96) : Prendre position. Se placer.
- «prudence» (lettre 165) : Prévoyance ;
- «récitatif obligé» : «Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu’en récitatif obligé ou en grandes ariettes» (lettre 59) : Le «récitatif obligé» doit suivre l’accompagnement de l’orchestre ;
- «réclames d’un rôle» (lettre 59) : Les derniers mots des répliques des autres acteurs qui figurent dans les rôles distribués à chaque acteur ;
- «recorder» (lettre 10) : Retrouver, rappeler ;
- «rouerie» (lettre 2) : Conduite, pleine de ruse, de dissimulation, qui est celle du «roué», débauché digne du supplice de la roue ;
- «sentimentaire» (lettre 144) : Personne qui est sentimentale ;
- «le sept et le va» (lettre 167) : Le fait de jouer sur une carte sept fois la mise ;
- «substitué» (lettre 2) : Terme juridique employé en matière de succession ;
- «Suisse» (lettre 10) : Portier d’un hôtel particulier, dont le costume rappelait celui des mercenaires suisses, comme ceux qui gardent le pape ;
- «taille» (lettre 21) : Impôt direct de l'Ancien Régime français.
- «trouver [quelqu’un] furieusement à dire» (lettre 112) : Avoir de forts reproches à lui faire ;
- «vapeurs» (lettre 110) : Exhalaisons provenant des humeurs auxquelles croyait la médecine ancienne, et qui étaient censées provoquer des malaises ;
- «wisk» (lettre 4) : Ou «whist», jeu de cartes.
Pour ce qui est de la syntaxe, on ne peut guère que signaler ces constructions:

1) l’antéposition du pronom personnel complément d’un infinitif:

«Vous m'allez trouver trop exigeante» (lettre 134) ;
- «Est-il donc généreux à vous de…?» ;
- «emploi» suivi d’un infinitif complément de nom et substitut de proposition («cet emploi d’adoucir» [lettre 130] : ce souci de) ;
- «Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le chevalier est mort» (lettre 10) ;
- «ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche» (lettre 113), alors que l’Académie française avait, en 1679, déclaré le participe présent invariable.
Laclos annonça la variété des styles dans la ‘’Préface’’, et elle donne un grand intérêt au roman par lettres où l’auteur doit permettre à chaque épistolier, menteur ou sincère, de s'exprimer à sa manière, doit lui donner une voix, un ton, particuliers.

Elle frappe dès le début, puisque que la lettre 1, qui est celle de Cécile à son amie de pension, lettre puérile, ingénue et naïve, est suivie sans transition par la première lettre de Mme de Merteuil à Valmont qui fait découvrir sa rouerie.

L'opposition est donc brutale, et éloquente en elle-même.

La simple juxtaposition de deux tons aussi différents devient un moyen d'expression, une manière de dire sans qu'on ait besoin de rien formuler.

L'un des thèmes du roman est ainsi suggéré dès l'ouverture : l’opposition de l’innocence et de la cérébralité, de la victime et du prédateur.

 Dans l’ensemble du livre, Laclos passa, avec une étonnante virtuosité, de la perversion d’une âme damnée à la candeur d’une autre ou à la fidélité d’une troisième qui se lézarde. En un jeu de miroirs, il approfondit, par le polymorphisme de l'écriture, la très banale technique des lettres : chaque scripteur y exprime à la fois sa personnalité, son rapport à la personnalité à laquelle il s'adresse, le rapport des divers milieux par deux témoins, mais avec des significations différentes. La juxtaposition des tons particuliers des personnages permet ainsi d'obtenir des effets de subtile psychologie, grâce à une série d'interréactions qui éclatent en fusée.
André Malraux constata : «Chaque personnage de Laclos ne vit que par son ton, n'est que ton. Cela ne tient pas seulement à la forme du roman par lettres : car l'auteur, fier d'avoir "varié les voix de ses personnages", voyait dans ces voix écrites le grand moyen d'expression du romancier. Il joue sa partie sur elle : ses personnages existent à peine physiquement, et n'ont pas de biographie.» Cette «variété des styles» est si frappante que, pour certains commentateurs, elle serait une preuve de I'authenticité des lettres.
On peut donc, pour chaque personnage,  caractériser son ton, son style, sa rhétorique, ses expressions, ses images, tout ce qui permet au lecteur de mieux le cerner :
Azolan, le «chasseur» de Valmont, a une langue et un style proches de l’incorrection : «Monsieur votre homme d’affaires n’a pas voulu, en disant qu’il n’avait pas d’ordre de ça de vous. J’ai donc été obligé de les donner de moi [ces louis] et Monsieur m’en tiendra compte, si c’est sa bonté. […] Mais pourquoi donc est-ce qu'elle [Mme de Tourvel] s'en est allée comme ça? Ça m'étonne, moi ! au reste, sûrement que Monsieur le sait bien? et ce ne sont pas mes affaires.» (lettre 107).
En contraste, Bertrand, l’oncle de Valmont, est plein de cérémonie, parlant de «cette malheureuse aventure qui n'a déjà que trop éclaté», disant : «Ce respectable magistrat m'a chargé de vous observer que la plainte…». On pourrait citer toute la lettre 166, où la syntaxe, comme celle du grand siècle, n'est pas exempte de lourdeur : «Et il faut que ce soit lui que le ciel ait permis qui succombât.» Le ton devient même celui d'une oraison funèbre : «Bon Dieu ! quand j'ai reçu dans mes bras à sa naissance ce précieux appui d'une maison si illustre, aurais-je pu prévoir que ce serait dans mes bras qu'il expirerait et que j'aurais à pleurer sa mort? Une mort si précoce et si malheureuse !» (lettre 163) : on dirait un pastiche de Bossuet avec les reprises de mots et les enchaînements oratoires.
Le père Anselme, le confesseur de Mme de Tourvel, écrit une lettre (123) qui est pleine d'onction sacerdotale et de parfum mystique, où on lit : «celui qui tarde à profiter du moment de la grâce… Ce Dieu qui vous rappelle peut tout...», où il se plaît au ton biblique : «Il peut venir un moment où le Dieu de miséricorde se change en un Dieu de vengeance.»
Mme de Rosemonde, du fait de son âge et de sa classe sociale, recherche les expressions un peu fanées et précieuses, fait preuve d’un archaïsme élégant : «Ma chère belle» (à Mme de Tourvel) - «Et sans dire qu'elle [sa santé] soit bonne, il ne m'a point articulé pourtant qu’elle fût mauvaise» (lettre 122) - «La petite Volanges… vous trouve furieusement à dire» (lettre 112). Sa syntaxe elle-même rappelle les tours de la prose oratoire du grand siècle : «cet emploi d'adoucir vos peines, ou d’en diminuer Ie nombre, est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment.» (lettre 130) est une forme très fréquente chez Bossuet. Elle sait user parfois d’une vigoureuse familiarité : «La petite Volanges […] baîlle, tant que la journée dure, à avaler ses poings» (lettre 112), filer la métaphore : «Il est cruel d’effrayer un malade désespéré, qui n’est plus susceptible que de consolations ou de palliatifs ; mais il est sage d’éclairer un convalescent sur les dangers qu’il a courus […] Puisque vous me choisissez pour votre médecin […] les petites incommodités que vous ressentez à présent et qui peut-être exigent quelques remèdes, ne sont pourtant rien en comparaison de la maladie effrayante dont voilà la guérison assurée.» (lettre 126).
Mme de Volanges est une femme bien née, qui cultive les clichés mondains ou dévots. Son vocabulaire est précis, un peu étroit, teinté volontiers de quelque couleur archaïque : «par une fatalité attachée à mon sort, et qui semblait se jouer de toute prudence humaine.» (lettre 165) - «celle que tout le monde pleurait fut la seule qui ne se pleura point» (lettre 165) - «que fait-il donc à cette campagne?» (lettre 25) - «si on sait qu’il est resté quelque temps en tiers entre sa tante et vous» (lettre 9) - «cette vérité me paraît d’autant plus nécessaire à croire» (lettre 32) - «Je préfère de vous prier de ne plus venir chez moi à donner des ordres à ma porte» (lettre 62). Elle use de métaphores classiques : «Mme de Merteuil… est un guide adroit qui se plaît à conduire un char entre les rochers et les précipices» (lettre 32). Elle peut atteindre à l’éloquence : «Tant de vertus, de qualités louables et d’agréments ; un caractère si doux et si facile ; un mari qu’elle aimait et dont elle était adorée, une société où elle se plaisait et dont elle faisait les délices, de la figure, de la jeunesse, de la fortune ; tant d’avantages réunis ont donc été perdus par une seule imprudence ! Ô Providence ! sans doute il faut adorer ses décrets ; mais combien ils sont incompréhensibles !» (lettre 165). Elle devient, à la fin, grave et vraie : «Laissons [«ces tristes événements»] dans l’oubli qui leur convient ; et sans chercher d’inutiles et d’affligeantes lumières, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors même qu’elle ne nous permet pas de les comprendre.» (lettre 172).

**************************** DANCENY cavalier di Malta *******************
La langue et le style de Danceny sont ceux du pâle sigisbée, dévoré d'amour, qui montre parfois une affectation d'antithèses et de pointes.

Je n'ose plus me flatter d'une réponse : l'amour l'eût écrite avec empressement, I'amitié avec plaisir, la pitié même avec complaisance : mais Ia pitié, I'amitié et l"amour...» (lettre 28).

Il la manifeste surtout avec Mme de Merteuil : «Ô vous que j'aime ! ô toi que j’adore ! ô vous qui avez commencé mon bonheur ! ô toi qui l’as comblé ! Amie sensible, tendre amante, pourquoi le souvenir de ta douleur vient-il troubler le charme que j'éprouve? Ah ! madame, calmez-vous, c’est l'amitié qui vous le demande. Ô mon amie ! sois heureuse, c'est la prière de I'amour.» (lettre 148). Il a aussi des expressions de style tragique : «Ah ! dites un mot et ma félicité sera votre ouvrage. Mais avant de prononcer, songez qu'un mot peut aussi combler mon malheur.» (lettre 17). Il se veut son «ange tutélaire» (lettre 65). Lui, qui a trahi son premier amour, se montre doué d’une duplicité tout à fait libertine : «Souvent le souvenir de Cécile est venu me troubler jusque dans les plus doux plaisirs ; et peut-être mon cœur ne lui a-t-il jamais rendu d'hommage plus vrai que dans le moment même où je lui étais infidèle.» (lettre 157). Il recourt à des métaphores traditionnelles : «Quelle est donc cette amitié... si elle vous laisse froide et tranquille, tandis que j’éprouve les tourments d'un feu que je ne puis éteindre.» (lettre 28). On trouve pourtant une image intéressante : «Cette idée glissa facilement sur mon âme ; elle la gêna peut-être, mais ne l’affecta point. Tel à peu près quand voulant donner un baiser sur ton cœur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l’écarte seulement et n'ai cependant pas le sentiment d’un obstacle» (lettre 150).
On reconnaît aisément Cécile à son «petit radotage» (lettre 115).

Ses lettres manifestent sa spontanéité (1, 27), voire sa puérilité.

On croit, à la lire, entendre sa parole précipitée, coupée par la joie ou le découragement, marquant avec fidélité les divers mouvements de son âme. Elle est l'ingénue que ses troubles (lettre 3) désignent par avance comme victime : «J'ai pleuré que ça ne finissait pas» (lettre 27). Elle s’exprime de façon très gauche, commet souvent des fautes de syntaxe, montre du laisser-aller, d'où des répétitions choquantes : «Je ne lui avais encore dit que deux paroles, qu'il m'a dit que si j'avais quelque chose à lui dire...» (lettre 109), des constructions embarrassées : «Je suis sûre que rien que de ce qu'elle sera de moi, elle [cette lettre] lui fera toujours plaisir» (lettre 18), des constructions elliptiques : «Tu voudras bien l'envoyer [ce billet] comme de toi» (lettre 61) ; elle emploie des verbes transitifs d'une manière absolue : «J'avais eu bien tort de lui promettre» (lettre 97) ; elle use du tour conjonctif qui simplifie souvent le mécanisme de la subordination : «un homme que je suis sûre qui parlait de moi» (lettre 3) ; elle est incertaine sur le choix du mode : «Je suis bien fâchée que vous êtes encore triste à présent» (lettre 30) ; elle recourt  fréquemment à la formule «c'est que» pour rendre une idée de causalité : «si je ne t'ai rien dit de mon mariage, c'est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour.» - «Hier quand vous m’avez vu pleurer, c'est que je voulais vous parler ; et puis je ne sais quoi m'en empêchait» (lettre 27). Sa naïveté est marquée par le retour obsessionnel du mot «bien» («je vous aime bien», «je suis bien malheureuse», etc.). Elle exprime souvent l'idée d'intensité ou de degré par la répétition du verbe, de I'adjectif, du nom : «Et j'ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m'en empêcher» (lettre 14) - «Depuis il était devenu triste, mais si triste, si triste» (lettre 16) - «Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d'enfants ; il n'en reste rien après qu'ils sont passés. Mais l'amour, ah ! l'amour ! […] c'est le bonheur.» (lettre 55) ; ou elle la présente sous forme de propositions conséquentielles ou consécutives : «Mais il avait un air, qu'on aurait dit qu’il était malade» (lettre 18) - «À mesure que le moment de lui écrire approche, mon coeur bat que ça ne se conçoit pas» (lettre 18) - «Mes pleurs redoublaient que j'en étais suffoquée» (lettre 97) - «Rien que pour recevoir vos lettres, c'est un embarras, que si. M. de Valmont n’était pas aussi complaisant et aussi adroit qu'il I'est, je ne saurais comment faire» (lettre 82). Elle use du style de la passion avec des phrases exclamatives : «il prit ma main qu’il serra… mais d’une façon !» (lettre 18). Elle utilise des mots à la mode : «Toutes les fois qu’elle est venue nous voir in fiocchi» (lettre 1). Elle emploie le mot «secrétaire» (le meuble) qui était nouveau. Son style est le style familier au XVIIIe siècle, Mme de Merteuil l’invitant à le «soigner davantage» : «Vous écrivez toujours comme un enfant. Je vois bien d’où cela vient ; c’est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas. [Or] vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu'un, c'est pour lui et non pas pour vous : vous devez donc moins chercher à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaît davantage.» (lettre 105) C’est que, symboliquement, I'apprentissage du vice va de pair avec celui de l'écriture. Mais, comme son aventure la fait évoluer, elle en vient aussi à dire l'amour de façon touchante (lettre 69).
Mme de Tourvel nous est révélée plus par ses comportements que par ses lettres : vingt-quatre seulement sur un total de cent soixante-quinze, alors que le roman est l’histoire de sa chute. Laclos en a même supprimé une qu’il avait partiellement écrite, où elle disait son amour avec une ardeur frénétique (celle qu’elle a aussi dans le désespoir de se savoir trompée [lettre 135]) : elle était bien peu en harmonie avec son auréole de martyre). Comme elle parle généralement le langage de la vertu (lettre 26), de la discrétion, de la pudeur, de la modération («Ce que vous appelez le bonheur n'est qu'un tumulte de sens, un orage de passions dont le spectacle est effrayant, même à le regarder du rivage.» [lettre 56]), de la morale (lettres 37, 41), qu’elle se livre à des prêches, son style est posé, injonctif, mais on y perçoit l'effort, le débat intérieur. On trouve chez elle des litotes, des euphémismes : «projet» (lettre 12) au sens de «dessein» ou d’«aventure galante». Une allusion qu’elle fait à une parabole évangélique paraît naturelle sous sa plume : «Ne sais-je pas que l’Enfant prodigue, à son retour, obtint plus de grâces de son père que le fils qui ne s’était jamais absenté.» (lettre 124). Ses images ne manquent pas d’expressivité : «Oh ! que la haine est douloureuse ! comme elle corrode le cœur qui la distille» (lettre 161) - «Vous m’entourez de votre idée plus que vous le faisiez de votre personne» (lettre 56) - «Dans le séjour des ténèbres où l’ignominie m’a forcée de m’ensevelir» (lettre 161) - «La pitié s’arrête sur le bord de l’abîme où le criminel se plonge. Les remords le déchirent et ses cris ne sont pas entendus.» (lettre 161). Sa prose prend naturellement la cadence poétique : «Enfin, je le verrai s’éloigner… s’éloigner pour jamais ; et mes regards qui le suivront, ne verront pas les siens se retourner vers moi.» (lettre 124). Dans certaines de ses lettres, elle a le ton plaintif et passionné des héroïnes raciniennes : «Que vous dirai-je enfin? j'aime, oui, j'aime éperdument» (lettre 102) - «Être soi-même l’artisan de son malheur ; se déchirer le cœur de ses propres mains ; et tandis qu’on souffre ces douleurs insupportables, sentir à chaque instant qu’on peut les faire cesser d’un mot, et que ce mot soit un crime !» (lettre 108). «Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte l’illusion de mon bonheur. La funeste vérité m’éclaire, et ne me laisse voir qu’une mort assurée et prochaine, dont la route m’est tracée entre la honte et le remords.» (lettre 143, à Mme de Rosemonde).
Mme de Merteuil use d’une langue qui offre un merveilleux équilibre de qualités classiques, mais qu’il est bon tout de même d’apprécier par rapport à l’orthodoxie et à l’usage du XVIIIe siècle. Elle use encore de constructions anciennes comme : «Il semble que je n’aie rien autre chose à faire qu’à les réparer» (lettre 106) - «Choisis un autre amant, comme j’ai fait une autre maîtresse» (lettre 141) - «Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le chevalier est mort» (lettre 10) - «Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche» (lettre 113) - «N’est-il pas évident que sa conduite dévoilée et sa punition authentique ôteraient bientôt toute créance à ses discours» (lettre 81) - «J’aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante et que vous ne vous enterrassiez avec elle» (lettre 113) - «Elle chante mieux qu’à une pensionnaire n’appartient» (lettre 5) - «Je reviens à mon aventure et la reprends d’origine» (lettre 85) - «Tous deux sont en adoration vis-à-vis de moi» (lettre 20) - «Sa lettre de rupture qui est une vraie capucinade» (lettre 51) - «Par cela seul qu’on dispute, on ne veut pas céder» (lettre 33) - «L’alternative d’une haine éternelle ou d’une excessive indulgence» (lettre 2). 

Elle montre sa culture :  «C’est au sacrificateur à disposer du temple» (lettre 10, le «sacrificateur» étant l’amant, «le temple», «la petite maison») - «Comme un sultan au milieu de son sérail» (lettre 10) - «Le jeune homme est si Céladon que…» (lettre 51, Céladon est un personnage du roman précieux d’Honoré d’Urfé, ‘’L’Astrée’’) - «Nouvelle Dalila, j’ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret… Hé ! de combien de nos Samson modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau?» (lettre 81, allusion à l’épisode biblique où cette Philistine séduisit ce chef des Hébreux et, ayant appris que sa force résidait dans sa chevelure, la rasa pendant son sommeil et le livra aux siens). Et elle avoue à Valmont recourir aux livres pour mieux écrire : «Je lis un chapitre du ‘’Sopha’’ [conte oriental de Crébillon fils, publié en 1742], une lettre d'’’Héloïse’’ et deux contes de la Fontaine pour recorder les différents tons que je voulais prendre» (lettre 10).
Pourtant, on peut aussi trouver des mots et expressions familiers : «elle craint d’en être pour ses frais» (lettre 57) - «je chambrai la petite dans un coin» (lettre 63) - «un homme de ma connaissance s’était empêtré comme vous, d’une femme» (lettre 141) - «Vous me proposez en douceur de vous laisser renouer» (lettre 141) - «il lui en prend des impatiences tout à fait drôles» (lettre 38) - «vous m’écrivez la lettre la plus maritale qui soit» (lettre 152) - «quand une femme s’est encroûtée à ce point…» (lettre 5) - «ses parents tout hérissés d’honneur» (lettre 81) - «Eh ! depuis quand voyagez-vous à petites journées et par des chemins de traverse? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route» [métaphore filée destinée à inciter Valmont à se dépêcher] (lettre 10).
Elle sait remarquablement bien user de l’ironie, de l’antiphrase («Ménagez davantage mon extrême timidité» [lettre 152] écrit-elle à Valmont), de la feinte naïveté, du persiflage (lettre 10), du mépris, de la froideur, de la perfidie, de la cruauté, du cynisme (lettre 5) : «Ah ! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire, et qui se disent à sentiment ; dont l'imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête ; qui, n'ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse I'amour et I'amant ; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l'unique dépositaire ; et vraies superstitieuses, ont pour le prêtre, le respect et la foi qui n'est dû qu'à la divinité.» (lettre 81). Dans la lettre 83, on constate que l'ordre rigoureux de sa syntaxe et de son argumentation ajoute une froide détermination à sa volonté de puissance.
Elle, qui manie efficacement l’écriture, joue le rôle de guide littéraire. Elle enseigne à Cécile que, menteuse ou véridique, une lettre s'adresse toujours à une personne qu'il importe de prendre en considération si I'on a de l'usage (lettre 29). Elle donne même une leçon de style à Valmont, lui apprenant que mentir n'est pas si aisé, qu’il n’y a rien de si difficile en amour que d'écrire d'une façon vraisemblable ce qu'on ne sent pas : «Ce n'est pas qu'on ne se serve des mêmes mots ; mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, et cela suffit.» Elle lui fournit un «petit modèle épistolaire», pour rompre avec Mme de Tourvel, où on lit : «Adieu, mon ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute.» (lettre 141).

******************************* VALMONT **************************
Valmont a écrit près du tiers des lettres, dans lesquelles Mme de Merteuil reconnaît «un ordre qui [le] décèle à chaque phrase».

Et il joue de toute une variété de styles, n'usant pas de la même plume pour Mme de Tourvel, le père Anselme ou Mme de Merteuil.

Il use parfois d’un lexique familier :

«Je ne trouvai qu’une bégueule scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre» (lettre 44) - «ce n’est qu’un réchauffé de plus avec la vicomtesse» (lettre 71) - «oh ! je renouerai avec sa fille ; je veux la travailler à ma fantaisie» (lettre 100) - «il me baragouina une invitation en français de Hollande» (lettre 47).
Avec Mme de Merteuil, le plus souvent, il est méprisant : «Puis-je deviner les mille et mille caprices qui gouvernent la tête d’une femme et par qui seuls vous tenez encore à votre sexe» (lettre 76) ; il déclare que «prendre votre lettre dans le sens naturel qu’elle présente, il n’y a pas moyen» (lettre 76) ; il l’admoneste : «Puisque vous commencez à faire des éducations, apprenez à vos élèves à ne pas rougir» (lettre 151).

Lorsqu’il parle de Mme de Tourvel, il lâche une cascade d’adjectifs mornes et répétitifs : «jolie prêcheuse» (lettre 23), «jolie prude» (lettre 40), «tendre prude» (lettre 76), «sensible prude» (lettre 44), «céleste prude» (lettre 76), «timide dévote», «austère dévote dont la vertu tigresse s’allie pourtant avec la douce sensibilité» (lettre 110), «adorable dévote», «céleste dévote» (lettre 44), «belle courroucée» (lettre 34), «inhumaine» (lettre 25), etc.. Il se moque de ce «perpétuel rabâchage» [des mots d’amour] (lettre 76). Il se moque souvent d’elle : «C'était un embarras dans le maintien ! une difficulté dans Ia marche ! des yeux toujours baissés, et si gros et si battus !» (lettre 96) - «Et que sa carrière soit plus ou moins longue, j’en aurai seul ouvert et fermé la barrière» (lettre 115). Mais il lui arrive aussi de l’admirer : «Il faut voir comme, dans les folâtres jeux, elle offre l’image d’une gaieté naïve et franche…, comme son regard annonce la joie pure et la bonté compatissante ! Il faut voir surtout, au moindre mot d’éloge ou de cajolerie, se peindre sur sa figure céleste, ce touchant embarras» (lettre 6).
Pour la circonvenir, feindre des sentiments qui lui sont étrangers, il déploie tout le vocabulaire du tourment amoureux afin de l’émouvoir : «Dévoré par un amour sans espoir, j’implore votre pitié et ne trouve que votre haine : sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards.» (lettre 36). Son hypocrisie triomphe puisqu’il prétend se trouver «dans l'agitation d'une ardeur dévorante, ou dans I'entier anéantissement de toutes les facultés de mon âme», ressentir «la puissance irrépressible de l'amour» (lettre 48). Il sait aussi jouer du registre dévot, lorsqu’il convainc le père Anselme, confesseur de la présidente, de son désir de se convertir, d’abjurer ses erreurs passées, et de s’engager dans «un sentier nouveau» (lettre 120).
Il s’amuse à manifester une énergie martiale, en usant de ces métaphores guerrières fréquentes chez les libertins : «J’ai forcé à combattre l’ennemi qui ne voulait que temporiser ; je me suis donné, par de savantes manœuvres, le choix du terrain et celui des dispositions ; j’ai su inspirer la sécurité à l’ennemi pour le joindre plus facilement dans sa retraite…» ; il parvient à «une victoire complète, achetée par une campagne pénible, et décidée par de savantes manoeuvres» ; il demande à être jugé «comme Turenne et Frédéric» (lettre 125, le premier est le général français qui s’illustra sous Louis XIV, le second, le roi de Prusse Frédéric II).
Son dévergondage se dissimule bien souvent sous des mots ou expressions «à double entente» : «Laissons le braconnier obscur tuer à l’affût le cerf qu’il a surpris : le vrai chasseur doit le forcer» (lettre 23) - «Elle ignore encore que les flèches de l’amour, comme la lance d’Achille, portent avec elles le remède aux blessures qu’elles font.» (lettre 99, où le symbole phallique est évident) - «Je conviens que l’échéance [de faire l’amour avec vous] n’est pas encore arrivée ; mais il serait généreux à vous de ne pas l’attendre, et de mon côté, je vous tiendrai compte des intérêts» (lettre 57).
S’il paraît plus fougueux que Mme de Merteuil, et donc moins inébranlable du fait d’une secrète fêlure, il n’est pas vraiment lyrique, et ses envolées retombent platement : «Ô délicieuse jouissance ! Je t’implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos» (lettre 4) - «Je ne vois dans vos amants que les successeurs d’Alexandre, incapables de conserver entre eux tout cet empire où je régnais seul» (lettre 15). Mais il peut atteindre à la vigueur oratoire : «Voilà ce que j'attaque ; voilà l'ennemi digne de moi ; voilà le but où je prétends atteindre» (lettre 4) - «Ce n’est plus l’amant fidèle et malheureux, recevant les conseils et les consolations d’une amie tendre et sensible, c’est l’accusé devant son juge, l’esclave devant son maître» (lettre 91), et s’élever à la maxime : «Placé entre l’excès du bonheur et celui de l’infortune, l’incertitude est un tourment cruel» (lettre 24).
Si Laclos alla parfois jusqu'au pastiche pour caractériser les personnages secondaires, c’est dans les lettres des deux protagonistes qu'on est tenté de détecter son véritable style, son génie d'observateur réaliste y étant d’ailleurs bien plus pénétrant que dans les lettres des innocents et des naïfs, et son habileté devant se surpasser pour rendre leur «rouerie», leur ironie, la distance qu'ils gardent toujours par rapport à ce qu'ils disent, mais aussi exprimer objectivement sur eux beaucoup plus qu'ils ne croyaient.
Son style est en général précis, vif, alerte, vigoureux, d'une cruauté froide, d'une vigueur et d'une rigueur toutes classiques, les phrases étant en général courtes, efficaces. Son travail de correction allant dans le sens de la concision, de la simplicité et de l'«honnêteté» («coucher avec vous» devint «se rendre» [lettre 33]), il fut à l’affût d’un énoncé mettant en relief l’idée grâce à un mot, à un tour de phrase décisifs. Il rechercha la légèreté de l’élocution, ces expressions qui rendent l’oreille et l’esprit attentifs aux vérités, aux peintures qu’il présente. La puissance infinie de ses lettres tient à ce qu’elles suggèrent plutôt qu’elles ne montrent, qu’elles étudient plutôt qu’elles ne démontrent.
Comme il avait fréquenté assidûment les auteurs du XVIIe siècle, il n'est pas surprenant de découvrir chez lui tant de ressemblances avec La Fontaine ou Racine surtout ; il s'agit parfois de pures rencontres, souvent d'imitation flagrante. Jean Giraudoux lui trouva un vocabulaire «aussi délimité et aussi originellement pur que celui de Racine», vit en lui «Racine aidé par Vauban.»
Même si Laclos mit en épigraphe aux ‘’Liaisons dangereuses’’ les mots de Jean-Jacques Rousseau dans la préface de ‘’La nouvelle Héloïse’’ : «J'ai vu les moeurs de ce siècle et j'ai publié ces lettres.», le roman se déroule uniquement dans l’aristocratie parisienne de la fin du XVIIIe siècle, demeure très abstrait, et n’attache son attention qu’à quelques divertissements de cette société oisive, à la recherche de plaisirs : le jeu, le théâtre et, surtout, le libertinage.

Du fait du caractère épistolaire du roman, chaque épistolier étant avant tout soucieux de son état d’âme et de ceux de ses partenaires, Laclos ne se préoccupa pas de la reconstitution d’un décor ou d’une atmosphère. La nature et le monde extérieur ne l'intéressèrent pas, et il fit dire à Valmont que la campagne est «ennuyeuse comme le sentiment, et triste comme la fidélité !» (lettre 115). Il élimina systématiquement toute information périphérique sur les lieux, les objets, l'époque. La distance qui sépare les correspondants est une distance psychologique et nullement topographique, car on franchit comme un trait les quelques lieues qui séparent de Paris le château de Mme de Rosemonde, lequel à I'inverse peut se distendre pour donner lieu à un échange de lettres : Valmont et Mme de Tourvel s’y écrivent d'une chambre à I'autre (lettre 40). Dans cet espace aussi irréel qu'un échiquier, seule compte la position des «pièces», leur capacité de prendre ou d'être prises.
Dans ce milieu social élevé, on est cultivé (au minimum, on sait écrire, tandis que, symboliquement, Émilie, la «fille d'opéra», est réduite au rôle de pupitre pour Valmont).

On est riche.

On a des domestiques, comme le «Suisse» (lettre 151) de Mme de Merteuil qui évoque aussi ses «gens», tandis que Valmont a un «chasseur», Azolan.

Les objets sont toujours disponibles, donc inintéressants en soi, et réduits à leur seule valeur fonctionnelle : une «clef», un «déshabillé», des «ottomanes» (lettres 10, 85, 125), qui semblent être vraiment le meuble propice aux ébats sexuels.

D'un château à I'autre, on évolue en des décors identiques, qu'il est par conséquent inutile de détailler.

On vit dans une atmosphère dissolvante d'oisiveté, les hommes n’ayant plus à combattre pour le royaume, puisque la France est en paix.

Ils portent plutôt la guerre dans les salons, comme celui que tient Mme de Merteuil qui y réunit ce qu’elle appelle sa «société» (lettre 85).

Les belligérants y sont sans pitié, car ils possèdent une arme très puissante, la connaissance de la nature humaine.

On se rencontre lors de dîners.

On se consacre avec assiduité au jeu, à différents jeux: le trictrac (lettre 33),  le «lansquenet» (lettre 85), le «wisk» (lettre 4), la «macédoine» (lettre 85), avec des stratégies comme «le sept et le va» (lettre 167).

On va au  théâtre, qui était alors un lieu où, comme l’avait déjà montré Montesquieu, dans la lettre 28 des ‘’Lettres persanes’’, le spectacle était plus dans la salle que sur la scène.

Ce cadre fastueux avait donc une fonction de socialisation qui apparaît, dans le roman, nécessaire à l’établissement de l’image des personnages et à l’influence que cette image entretient sur les autres.

Le théâtre possède donc une fonction dramatique, puisqu’il permet de faire avancer l’intrigue, qui s’y noue et s’y dénoue.

Sont mentionnées à plusieurs reprises, en toile de fond, les trois principales salles parisiennes de l’époque:

A) l’Opéra
B) la Comédie-Française et
C) le Théâtre des Italiens.

Durant les quelque cinq mois que couvrent les lettres, les personnages se rendent 8 fois au théâtre.

Mme de Merteuil est le personnage qui fréquente le plus souvent les salles parisiennes, où elle trame ses intrigues, où elle attire ses proies dans son piège fatal.

Ainsi, elle se rend à l’Opéra le 13 août et le 26 août, où elle peut enfin parler tranquillement à Cécile qui commence à lui accorder la confiance qui est nécessaire pour l’élaboration du stratagème qui est le fil conducteur du roman (lettre 29).

C’est encore à l’Opéra qu’elle séduit Prévan, l’y rencontrant le 14 septembre.

Il était à l’Opéra, presque vis-à-vis de moi, et je m’en suis occupée.» (lettre 74).

Puis ils vont à la Comédie-Française le 20 septembre (lettre 85) et le 22 septembre («Je le rencontre à souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une pièce nouvelle, et j’y accepte une place.» [lettre 85]).

Cependant, c’est aussi au théâtre que sa chute a lieu.

Le 16 décembre, au Théâtre des Italiens, elle se fait huer par la foule qui a pris connaissance de ses complots et de sa véritable personnalité (lettre 173).

Ainsi, tout commence et se termine au théâtre.

Valmont, quant à lui, se rend deux fois à l’Opéra pour y retrouver Émilie.

Il y passe d’abord la soirée du 29 août (lettre 47) puis celle du 14 novembre («J’allais tranquillement joindre Émilie à l’Opéra.»L[lettre 138]).

Mais ces sorties de Valmont à l’Opéra ont une autre valeur que celles de la marquise, car Émilie est une «fille d’opéra», une de ces «amies du foyer» dont il parle (lettre 29), c’est-à-dire une courtisane, une femme galante, les figurantes, les danseuses, les chanteuses, les actrices qui se produisaient dans les théâtres étant alors toutes des femmes entretenues, des prostituées. Le libertinage des deux protagonistes trouve donc un écho dans les mœurs dissolues des gens de théâtre.

De plus, le spectacle qui est donné au théâtre est la parfaite métaphore du mensonge et de la supercherie qu’ils ne cessent d’entretenir, puisqu’on y assiste à l’exercice par excellence du jeu et de la tromperie, même si celle-ci est normalement connue du spectateur.
Cette paresse de l’aristocratie, paresse qui est, c’est bien connu, la mère de tous les vices, la rend  quelque peu décadente, corrompue, ses valeurs se désagrégeant, sa morale se dissolvant. Ne restent que les apparences et les réputations que seul soutient un fragile tissu de mensonges et de dissimulations, de poses et d'affectations. Et certains de ses membres se livrent à l'effrénée course au plaisir, au libertinage.

Le mot libertin apparut pour la première fois en 1477 comme traduction du latin «libertinus» («esclave affranchi»).

Il réapparut au milieu du XVIe siècle, dans un écrit de Calvin où il condamnait les «libertins spirituels», athées adeptes du précepte libertaire qui veut que chacun suive sa nature. Ainsi, dès le début, le terme relia un aspect spirituel et un aspect moral, intimement unis du fait que l'athéisme, aux yeux de Calvin, mène droit à la dissolution des moeurs.

Puis, à partir de 1620, on appela libertinage un mouvement de pensée qui gagnait de jeunes aristocrates, et auquel Théophile de Viau donna un écho littéraire. La résistance aux dogmes religieux, un scepticisme, parfois même un matérialisme tâtonnant, la recherche d'une morale au nom de la Nature, caractérisaient ces libres penseurs, qui voulaient vivre une libération spirituelle, morale et sensuelle. Ce «libertinage d’esprit», dont parle Mme de Merteuil dans la lettre 81, s'exprima dans des chansons manuscrites blasphématoires, avant d’être défendu par des savants, des philosophes, tels que Gassendi, Naudé, La Mothe le Vayer, des écrivains donnant des oeuvres souvent provocantes, soit dans la poésie, notamment burlesque (D'Assoucy, Saint-Amant), soit dans le roman, satirique (Sorel, ‘’Francion’’, 1626) ou de fiction philosophique critique (Cyrano de Bergerac, ‘’L'autre monde’’, 1657). Molière semble en avoir été influencé, son Don Juan (‘’Dom Juan’’, 1665) étant un «athée foudroyé», censure obligeant, car, sous Louis XIV, le libertinage fut combattu, et se fit décent. Quelques figures aristocratiques (Bussy-Rabutin, Saint-Évremond) qui en entretenaient la tradition littéraire se virent condamnés à l'exil. La Fontaine, lui aussi, fut inquiété pour ses contes libertins. Fontenelle et Bayle attestèrent une persistance de la libre-pensée en philosophie.

Au siècle suivant, les philosophes des Lumières reprirent à leur compte l’héritage du libertinage érudit, mais se développa parallèlement, à partir de la Régence, temps de libération des mœurs dans une société fortement sanglée dans des codes moraux (ceux de la représentation et de la bonne compagnie ; ceux de la réputation et de l'honneur), un libertinage des mœurs, un épicurisme mondain, que l’’’Encyclopédie’’ définit comme «l’habitude de céder à l’instinct qui nous porte aux plaisir des sens», dont l’image la plus parfaite fut justement donnée par ‘’Les liaisons dangereuses’’, les romans de Sade en donnant la plus provocante, car la séduction y est réduite à rien et la perversion portée au paroxysme.

‘’Les liaisons dangereuses’’, étant, comme l’indique leur titre, un tableau de relations humaines où des êtres, non seulement vivent d’intenses situations et sentiments, mais, comme le permet le roman par lettres, les commentent sans cesse, les analysent minutieusement, suivent, en faisant de subtiles distinctions, les variations et les contradictions de la passion, les lient même à des notations morales, à des aperçus sur les constantes et les mécanismes de l’âme, de l’esprit et du corps, présentent un grand intérêt psychologique.
Celui-ci est d’abord établi par le fait que, comme dans tout roman d’analyse psychologique, les situations, les évènements, les conduites donnent lieu à des réflexions de valeur générale, à des maximes qui, étant émises par les épistoliers, dont on peut remarquer l’intelligence aiguë, laissent planer le doute sur l’adhésion réelle de l’auteur au propos, maximes dont on peut relever un certain nombre, en essayant de les classer :
Certaines maximes portent sur le caractère humain en général :
- «Le succès, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu'à son exécution.» (‘’Préface du rédacteur’’).
- «L'amitié que les personnes de mauvaises mœurs paraissent leur accorder [aux vertueux] si facilement n'est jamais qu'un piège dangereux.» (‘’Préface du rédacteur’’).
- «J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien ; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux, n'ont pas tant de mérite qu'on se plaît à nous le dire.» (lettre 21).
- «Placé entre l’excès du bonheur et celui de l’infortune, l’incertitude est un tourment cruel» (lettre 24).
- «À force de chercher de bonnes raisons, on en trouve ; on les dit ; et après on y tient, non pas tant parce qu'elles sont bonnes que pour ne pas se démentir.» (lettre 33).
- «Par cela seul qu’on dispute, on ne veut pas céder» (lettre 33).
- «Une occasion manquée se retrouve, tandis qu'on ne revient jamais d'une démarche précipitée.» (lettre 33).
- «Il ne faut pas fâcher les vieilles femmes ; ce sont elles qui font la réputation des jeunes.» (lettre 51).
- «Il est bon d'accoutumer aux grands événements quelqu'un qu'on destine aux grandes aventures.» (lettre 63).
- «On a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d'acquérir l'amour des femmes et l'estime des hommes.» (Iettre 79).
- «On acquiert rarement les qualités dont on peut se passer.» (lettre 81).
- «Ce sont ces petits détails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans conséquence, en ôtant le désir de les vérifier.» (Iettre 84).
- «Le luxe absorbe tout : on le blâme, mais il faut l'imiter ; et le superflu finit par priver du nécessaire.» (lettre 104).
- «La haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l'amitié.» (lettre 113).
- «Les sensations aident le sentiment.» (lettre 125).
- «Le ridicule qu'on a augmente toujours en proportion qu'on s'en défend.» (lettre 141).
- «On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature ; ce n'est pas ma faute.» (lettre 141).
- «Notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler.» (lettre 175).
- «Voilà bien les hommes ! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu'ils mettent de faiblesse dans l'exécution, ils l'appellent probité.» (lettre 66).
- «Ce sont les bons nageurs qui se noient.» (lettre 76).
- «Ce sont les petits détails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans conséquences, en ôtant le désir de les vérifier.» (lettre 84).
- «Ce n'est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir à leur manière.» (lettre 89).
- «Où nous conduit pourtant la vanité ! Le sage a bien raison, quand il dit qu'elle est l'ennemie du bonheur.» (lettre 145).
- «Ou vous avez un rival, ou vous n'en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré ; si vous n'en avez pas, il faut encore plaire pour éviter d'en avoir.» (lettre 152).
- «La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches ; et une fois réchappée, elle se tient sur ses gardes, et n'est plus facile à surprendre.» (lettre 160).
- «Cette sensibilité si active est, sans doute, une qualité louable ; mais combien tout ce qu'on voit chaque jour nous apprend à la craindre.» (lettre 166).
- «Celui qui le premier tente de séduire un cœur encore honnête et simple se rend par là même le premier fauteur de sa corruption.»  (lettre 171).
- «Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse? et qu'elles peines ne s'éviterait-on point en y réfléchissant davantage.» (lettre 175).

D’autres maximes définissent les caractères masculin et féminin :
- «Toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs, finit par en devenir victime.» (‘’Préface du rédacteur’’).
- «Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! nous ne serions auprès d'elles que de timides esclaves.»  (lettre 4).
- «L'autorité illusoire, que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes, est un des pièges qu'elles évitent le plus difficilement.» (lettre 40).
- «Sans déraisonnement, point de tendresse; et c'est, je crois, par cette raison que les femmes nous sont si supérieures dans les lettres d'amour.» (lettre 70).
- «Ce talent, commun à toutes, de mettre de l'humeur à la place de la raison, et de n'être jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort.» (lettre 71).
- «J'ai toujours pensé que quand il n'y avait plus que des louanges à donner à une femme, on pouvait s'en reposer sur elle et s'occuper d'autre chose.» (lettre 96).
- «Ne craignez pas de lui faire quelques avances ; aussi bien apprendrez-vous bientôt, que si les hommes vous font les premières, nous sommes presque toujours obligées de faire les secondes.» (lettre 105).
- «Vous autres hommes, vous n'avez pas d'idées de ce qu'est la vertu, et de ce qu'il en coûte pour la sacrifier !» (lettre 121).
- «L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure. Le plaisir de I'un est de satisfaire des désirs, celui de l'autre est surtout de les faire naître. Plaire n'est pour lui qu'un moyen de succès ; tandis que pour elle, c'est le succès lui-même.» (lettre 130).
- «Pour les hommes, I'infidélité n'est pas l'inconstance.» (lettre 139).
- «La nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination.» (lettre 141).
- «Quand une femme frappe dans le cœur d'une autre, elle manque rarement de trouver l'endroit sensible, et la blessure est incurable.» (lettre 145).
Des maximes enfin concernent l’amour. Mais il faudrait distinguer, ce qui n’est pas toujours possible, les cas où ce mot désigne le sentiment, et les cas où il désigne la relation sexuelle, comme on le constate dans cette fine remarque de la marquise de Merteuil : «N'avez-vous pas encore remarqué que le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de la réunion des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux? et que, s'il est précédé du désir qui rapproche, il n'est pas moins suivi du dégoût qui repousse? C'est une loi de la nature, que l'amour seul peut changer ; et de I'amour en a-t-on quand on veut? Il en faut pourtant toujours ; et cela serait vraiment fort embarrassant, si on ne s'était pas aperçu qu'heureusement il suffisait qu'il en existât d'un côté. La difficulté est devenue par là de moitié moindre, et même sans qu'il y ait eu beaucoup à perdre ; en effet, I'un jouit du bonheur d'aimer, I'autre de celui de plaire, un peu moins vif à la vérité, mais auquel je joins le plaisir de tromper, ce qui fait équilibre ; et tout s'arrange.» (lettre 131).
Releveraient de la première catégorie :
- «L'amour est, comme la médecine, "seulement l'art d'aider la nature"?» (lettre 10).
- «Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu'écrire.» (lettre 34)
- «Le plus beau moment d’une femme, le seul où elle puisse produire cette ivresse de l’âme, dont on parle toujours et qu’on éprouve si rarement, est celui où, assurés de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs.» (lettre 44).
- «L'amour que l'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prétexte.» (lettre 81).
- «Ce doux empire, la stérile amitié ne le produit pas; il n'est dû qu'à l'amour.» (lettre  83).
- «Les moindres défauts [de l'amour] paraissent choquants et insupportables, par le contraste qu'ils forment avec l'idée de perfection qui nous avait séduits.» (lettre 104).
- «L’amour est un sentiment indépendant, que la prudence peut faire éviter, mais qu’elle ne saurait vaincre ; et qui, une fois né, ne meurt que de sa belle mort, ou du défaut absolu d’espoir.» (lettre 126)
- «On n'est heureux que par l'amour.» (lettre 155).
Releveraient de la seconde :

- «Réservées au sein même du plaisir [les prudes] ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la volupté où le plaisir s'épure par son excès, ces biens de I'amour, ne sont pas connus d'elles.» (lettre 5).
- «En amour, il ne faut se permettre d'excès qu'avec les gens qu'on veut quitter bientôt.» (lettre 10).
- «Coucher avec une fille, ce n'est que lui faire ce qui lui plaît : de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin.» (lettre 44).
- «Le premier pas franchi, ces prudes austères savent-elles s'arrêter? leur amour est une véritable explosion.» (lettre 99).
- «La honte que nous cause l'amour est comme sa douleur : on ne l'éprouve qu'une fois. On peut encore la feindre après ; mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, et c'est bien quelque chose.» (lettre 105).
- «La longue défense est le seul mérite qui reste à celles qui ne résistent pas toujours.» (lettre 121).
- «En amour rien ne se finit que de très près.» (lettre 125)
- «Qu'on dise que I'amour rend ingénieux ! il abrutit au contraire ceux qu'il domine.» (lettre 133).
Mais il est sûr que l’intérêt psychologique que présentent ‘’Les liaisons dangereuses’’ tient surtout aux personnages que fit vivre Laclos, et sur lesquels le lecteur, du fait de l'absence d’un narrateur, a à se faire peu à peu une opinion, au fil  des lettres. Malraux eut raison de dire qu’ils «existent à peine physiquement». Mais ils évoluent. Par rapport aux personnages du roman habituel qui, trop souvent, demeurent les mêmes, à peine marqués, à la fin, de quelques traces extérieures de leurs aventures, à peine grimés en vieillards, ceux des ‘’Liaisons dangereuses’’, sauf Mesdames de Volanges et de Rosemonde que leur âge met à I'abri de la passion, sont des individus qui changent avec l'expérience, car on voit s’exercer, sous l'ordre abstrait des dates que portent les lettres, le travail du temps subjectif qui les fait évoluer, les transforme, leur changement s’opérant selon la loi du caractère.
On a déjà indiqué que, dans cette tragédie, devant des témoins abusés (Mesdames de Volanges et de Rosemonde), sont victimes des manoeuvres perverses et subtiles de deux libertins (Valmont et Mme de Merteuil pour lesquels Malraux eut tort il eut tort de prétendre qu’ils «n'ont pas de biographie») des êtres jeunes et faibles (Cécile, Danceny, madame de Tourvel).
La signora di Rosemonde, la très stricte tante du vicomte de Valmont, que ses rhumatismes tiennent éloignée des vicissitudes de la vie mondaine, incarne les valeurs de l'ancien régime, qui sont marquées par son caractère pieux, à la fois rigide et doux, et par un certain bon sens qui la fait paraître assez sympathique. C'est sous son propre toit que son neveu, à qui elle voue un amour tout maternel, commet ses actes pervers, la séduction de Mme de Tourvel, pour qui elle est une fidèle confidente, et l’initiation de Cécile Volanges au libertinage, car elle lui a, par son invitation, permit de placer chez elle le piège qui allait causer leur déshonneur. La vieille dame, qui paraît jouer une comédie d'entremetteuse par son silence presque complice, ne comprend pas que la présidente est en fait attirée par Valmont ; il faut qu’elle le lui révèle par écrit ; elle tente alors de la ramener à la rigueur et à la fidélité ; néanmoins lorsqu’elle lui avoue son adultère, elle compatit à sa douleur, se servant de sa propre expérience pour comprendre la jeune femme (aurait-elle vécu une histoire similaire?); plus tard, quand sa protégée s'est enfermée au couvent pour racheter sa faute, elle entretient une correspondance fournie avec Madame de Volanges pour s'assurer de son état. Après la mort de son neveu, elle joue un rôle clé en recueillant toutes les lettres des protagonistes de l'affaire, et en s'assurant que ses amies soient tenues à l’écart du scandale, avant de retourner à sa vie dévote. D’ailleurs, elle exprime finalement la bonne conscience chrétienne : «Laissons [«ces tristes événements»] dans l’oubli qui leur convient ; et sans chercher d’inutiles et d’affligeantes lumières, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors même qu’elle ne nous permet pas de les comprendre.» (lettre 172), les «lumières» du siècle des Lumières étant significativement (?) opposées à la «Providence».
Madame de Volanges, autre dame bien née qui cultive les clichés mondains ou dévots, n’est que la mère qui n’a d’autre souci que d’assurer le mariage de sa fille, Cécile, avec le comte de Gercourt. Elle se méfie du séducteur libertin qu’est Valmont, qui voit d’ailleurs en elle une «infernale mégère» (lettre 44), et met en garde contre lui la présidente de Tourvel. Mais, ne connaissant pas la véritable nature de la marquise de Merteuil avec laquelle elle entretient une relation amicale, elle concourt ainsi au malheur de sa fille, qu’elle laisse devenir sa «pupille», imputant à tort ses malheurs à Danceny. Et, remettant en question l'éducation qu'elle lui avait dispensée, elle cherche conseil auprès de sa prétendue amie ! Ne comprenant toujours rien quand la libertine est démasquée, elle tente alors de raccommoder les jeunes amants, pense même les unir. Mais, sur les conseils discrets de Mme de Rosemonde, elle accepte la décision de Cécile d’entrer au couvent. Ainsi, cette femme animée des meilleurs sentiments a contribué au désastre en se faisant l’écho des rumeurs qui font et défont les réputations, et en restant aveugle et sourde à ce qui se tramait autour d’elle. Elle peut manifester son désespoir : «Adieu, ma chère et digne amie. Je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes.» (lettre 173), et soupirer dans sa dernière lettre : «Quelle fatalité s’est donc répandue autour de moi depuis quelque temps et m’a frappée dans les objets les plus chers ! Ma fille, et mon amie !» (lettre 175).
À la fin, seules demeurent ces deux femmes complètement dépassées et quelque peu ridicules.
La moins atteinte est Cécile de Volanges.

Elle qui n'est qu'une enfant de quinze ans, tout juste sortie du couvent pour épouser le comte de Gercourt qu’elle ne connaît même pas, montre une niaise innocence, une ingénuité assez sotte (lettre 82). Mais elle est aussi «sensuelle», faussement vertueuse, et, de ce fait, est facilement pervertie. Mal protégée par sa mère, elle est manœuvrée par des gens plus expérimentés, des adultes roués, et d’abord Mme de Merteuil qui se fait sa protectrice et sa confidente, lui dressant un si horrible portrait de Gercourt qu’elle est au désespoir, lui faisant rencontrer Danceny dont elle tombe vite amoureuse, l'encourageant à l’aimer (lettre 16). Elle est soumise aussi à son confesseur, revenant cependant vite des bonnes dispositions où il l'avait mise, pour retomber de nouveau sous l'influence de la marquise, faire de nouvelles promesses d’amour à son soupirant. Elle est surtout exposée à Valmont, qui la circonvient aisément, peut la contraindre à coucher avec lui, cette enfant violée glapissant ensuite de volupté (invraisemblance qui est peut-être un point faible du roman, et même l’indice que Laclos aurait été lui-même un libertin pour avoir imaginé cet épisode). Puis le séducteur fait de l'ingénue une libertine, la rendant «inconstante, pas même infidèle» (lettre 115), car elle dissocierait le plaisir et I'amour. Cependant, autre virevolte de cette girouette, prise par le remords, elle se confie à Mme de Merteuil qui, continuant à la manipuler, l’encourage à penser qu’elle peut tirer avantage de sa liaison avec Valmont sans compromettre ses sentiments pour Danceny, lui suggère de se réconcilier avec celui-ci, et l’éloigne de sa mère pour préserver son statut de confidente privilégiée. Complètement subjuguée et dépassée, elle ne peut, à la nouvelle de la mort de Valmont et du scandale qui compromet Mme de Merteuil et la compromet aussi, que se retirer au couvent, dont elle n’était sortie que pour une rapide et cruelle initiation à la vraie vie. Cette jeune fille, qui est victime des libertins mais aussi de sa sottise, n’est rachetée que par certains accents passionnés de ses premières lettres à Danceny, et par la honte qui la précipite finalement au cloître, conduites qui prouvent que, si elle manquait fâcheusement d'intelligence, elle ne manquait pas totalement de coeur.
Danceny, jeune noble peu fortuné qui fait partie de l'ordre des chevaliers de Malte, n’est d’abord que le traditionnel maître de chant moliéresque qui donne des cours de chant et de harpe à une jeune fille dont il tombe amoureux, à laquelle il fait remettre des lettres par un intermédiaire qu’il prend pour un ami et qui le supplante. Et il est manipulé par Mme de Merteuil qui, se désespérant de sa mollesse, voulant stimuler son ardeur par l'épreuve, révèle toute l'intrigue à Mme de Volanges, qui lui ferme donc sa porte. Puis le damoiseau ne résiste pas au charme vénéneux de la marquise, qui, de ce pion, fait son amant, lui apprend la trahison de Valmont. D’où, par une métamorphose du personnage, le duel, où, blessant mortellement le traître, il regrette tout de suite son acte, et se venge de Mme de Merteuil par la publication des lettres. Obligé de s’exiler pour fuir la justice, complètement désillusionné, ce presque simple comparse connaît donc un destin parallèle à celui de Cécile : comme elle, il n’a fait qu’un détour par le libertinage.
Chez la présidente de Tourvel, la tranquillité d’esprit est plus profondément troublée, et elle est la victime des libertins la plus sévèrement touchée.

Cette jeune bourgeoise, âgée de vingt-deux ans, est belle, sensible, pure, chaste, dévote, imbue de qualités morales, d’une «vertu craintive» (lettre 56). Elle apparaît d’abord intouchable parce que animée d’un sens aigu du devoir et de l'honneur. Aussi, si elle est déjà, même si elle s’en défend, sous le charme de Valmont, elle repousse avec horreur les avances du libertin, semble rester d’abord insensible à sa déclaration d’amour, refuse de recevoir des lettres de lui quand ils séjournent ensemble chez Mme de Rosemonde, y étant cependant une proie tout offerte à sa rapacité. «Quelle femme pourrait avouer être en correspondance avec vous?» se récrie-t-elle (lettre 43). Mais la dévote, qui pense pouvoir «convertir» le ruffian (lettre 8), se laisse prendre aux apparences quand il fait une bonne oeuvre (lettre 22). Aussi, un soir, lui avoue-t-elle l’amour qui la dévore, prenant toutefois la fuite. Il apprend, par son «chasseur», ses tourments et ses efforts pour ne pas lire les lettres qu’il lui écrit, le faire cependant et y laisser des larmes. À la nouvelle de son prétendu mauvais état de santé, elle s’en inquiète, accepte donc de lui répondre. Engagée dans cette correspondance, chacune de ses lettres étant l’aveu pitoyable de son amour désespéré, elle se forge une volonté : «Cet empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions», mais est assaillie d’interrogations douloureuses : «Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble et d'anxiété?» (lettre 90). Elle a beau se persuader : «Ceci est ma dernière lettre», conjurer son tourmenteur de cesser de lui écrire, de l’oublier, etc., elle ne cesse de lui répondre. De lettre en lettre, elle paraît céder peu à peu, mais sa conduite reste irréprochable. Peut-être est-elle soucieuse, pas tant d'obéir à son devoir, que de préserver sa réputation qu'elle place au-dessus de son désir? Mais elle accumule maladresses et naïvetés, lui révélant qu'on l'a mise en garde contre lui, lui offrant tout de même son amitié. Dans la lettre 128, qu’elle écrit à Mme de Rosemonde, elle lance le cri pur de I'amour qui suffit à dénoncer, à condamner sans équivoque I'impureté criminelle des libertins, dont, quand cette voix a parlé, les plus brillants des artifices semblent dérisoires. Si sa passion lutte avec sa conscience, elle va de cet amour désespéré au désir avoué, refusant cependant toujours d’accorder ses faveurs au séducteur, pour, après trois mois de résistance, lui céder enfin parce qu’il prétend que c’est le seul moyen de le sauver. Cependant, elle n’envoie jamais la lettre d'amour que Laclos avait rédigée, puis à juste titre supprimée, échappant ainsi de justesse à la «perte» sociale à laquelle Valmont I'avait condamnée. Ainsi, sa stratégie, qui avait pour condition de possibilité à la fois le consentement de sa victime à poursuivre la «liaison» épistolaire, et la rédaction de cette fameuse «preuve», échoue. C’est lui qui lui envoie plutôt une lettre de rupture. On comprend qu’elle puisse en être frappée en plein cœur, être de ce fait amenée à se retirer dans un couvent où, en apprenant la fin tragique de Valmont, elle meurt dans un délire de passion et de culpabilité (lettre 161).

Elle, qui est le personnage du roman le plus noble, le plus pur et le plus sympathique, par sa candeur, son amour absolu, qui pourrait en être considérée comme l’héroïne parce qu’elle vit véritablerment la situation et ne se contente pas de la jouer, parce que, prise dans l’engrenage de la sociabilité, elle est la victime du danger des liaisons, meurt d’avoir trop aimé. Ce qui, pour une femme de l’aristocratie, n'eût été qu'une aventure galante est, pour cette sensible bourgeoise, une tragédie où, se conduisant toujours sans mensonge, elle est perdue par son imprudence généreuse, est la proie d’un destin qui se rit de tous ses efforts, qui la punit d’avoir cédé à la tentation de vouloir convertir le libertin. Et, causant elle-même son malheur, finissant par avoir conscience de «la fatalité qui [la] poursuit» (lettre 108), en avouant : «Ce fatal voyage m’a perdue», en dénonçant le «fatal effet d’une présomptueuse confiance» (lettre 103), elle est bien un personnage tragique.
Ce sont Valmont et Mme de Merteuil, qui sont des libertins, ayant le culte des plaisirs accumulés, goûtant «ce délire de la volupté où le plaisir s'épure par son excès» (lettre 5), participant à un jeu galant aristocratique, ne choisissant la plupart du temps que des aventures sûres, exerçant, souvent grâce à la discrétion des «petites maisons» (lettre 10), une séduction visant non le mariage mais la perversion de la proie, se livrant avec adresse à une conquête qui se fait militaire, où l’être désiré, même si lui est donnée la possibilité de feindre une défense, est le plus souvent la victime, qu’ils perdent sans remords. Ce jeu de société intellectuel, éminemment cérébral, où s'expriment le souci de l'amour-propre et de la domination de l'autre autant que celui du plaisir physique ; où le vrai triomphe est de s'assurer l'estime de la société tout en étant un parfait scélérat, délectation suprême d'un être rebelle à toute obédience, et d'abord celle des passions ; où, derrière le cynisme ou le machiavélisme, s’affirme un orgueil intransigeant, fait d’eux des héros de la volonté.
Ils sont des complices d’abord du fait de leur exceptionnelle intelligence, de leur culte du moi, de leur volonté de puissance, de leur mépris du commun des êtres humains, qui les incite à vouloir l'assujettissement des faibles, l’affirmation de  leur supériorité dans une «carrière» de séduction, de de leur grand orgueil et de leur vanité, qui les conduisent à célébrer la perfection de leurs machinations, mais aussi à s'acharner à la perte I'un de I'autre, et à chuter finalement tous deux quand chacun révèle l'imposture dans laquelle I'autre mettait sa fierté.
Leur forme d'orgueil étant la plus opposée à la spontanéité, ils montrent une froideur extrême. Leur domination des émotions du cœur, leur aversion intellectuelle à l'égard de l'amour, considéré comme un «déraisonnement» (lettre 70), leur prévention à l'égard des aveuglements de l’instinct, de l’incandescence des sentiments, des débordements de la passion, leur confèrent une redoutable supériorité sur ces «sentimentaires» qui, aveuglés par leur émotivité, sont des machines à sentiment, dont, dans un jeu d'un cynisme et d’un machiavélisme affranchis de toute valeur morale, avec une hypocrisie qui est une jouissance en soi, ils démontent les rouages, les conquérant et les perdant en les déshonorant, avec adresse et sans remords. À l’amour, ils préfèrent le désir ou le plaisir, qui gardent I'immédiateté de la nature, obéissant à des lois mécaniques qui ne durent que l'espace d'un besoin, n'offrant qu'un bonheur passager, mais n'engageant pas, et, par cela même, pouvant être exploités comme jeu social de vanité perverse.
Pour exercer ce jeu délibéré, presque gratuit mais dont ils font une guerre où il s'agit d’abord, pour le conquérant, de dissiper chez sa victime les scrupules de la raison, ces êtres protéiformes peuvent endosser toutes les apparences que réclame une situation. Comédiens consommés, ils excellent dans la représentation, et l'agencement des lettres permet d'en savourer toutes les facettes. Metteurs en scène, ils agissent sur les événements, et tirent les ficelles. L’homme recherche les coups d’éclat pour les faire connaître, chaque séduction nouvelle ajoutant à son «mérite», tandis que la femme doit manœuvrer dans l’ombre.

S’ils ne sont jamais repus de conquêtes amoureuses et de trahisons, s’ils forgent méthodiquement des liaisons complexes fondées sur la ruse, le mensonge, la tromperie, la trahison, s’ils montrent un magnétisme inquiétant, la recherche du plaisir sensuel ne les domine pas. Ils veulent plutôt goûter un plaisir intellectuel qui atteste leur cérébralité, car leur immoralité, qui a fait l’objet d’un apprentissage, s’exerce selon un véritable code du mal, auquel ils se soumettent volontairement. D'une perversité démoniaque, ils ont un raffinement du mal et dans le mal ; c’est du moins ce dont ils se vantent jusqu’à ce que leurs illusoires succès déterminent les catastrophes finales. La seule faute qu'ils pourraient commettre serait de se laisser aller à un scrupule vertueux ou sentimertal. Chez eux, le plaisir n'est plus lié à l'amour, mais naît du spectacle de l'amour. Ils se regardent jouer un amour tacticien, manœuvrier, leur plaisir étant d'autant plus grand que le spectacle a été préparé. Leur érotisme de tête est un voyeurisme où ils trouvent la jouissance suprême aux récits de leurs exploits respectifs.

Préférant le détachement à la communion, ils n'ont aucun mal à se dégager de toute chaîne, car, plus il sont scandaleux dans leur conduite, plus ils sont libres et admirés.. Et leur principe fondamental est de ne jamais laisser quiconque avoir prise sur eux.  Manifestant une ironie caustique, forme habituelle de la décrépitude morale, un scepticisme sur lequel ils fondent leur action, ils ne sont dupes de personne parce qu'ils n'ont plus d'illusion sur I'humanité. Leur cynisme est rendu plus terrible par leur lucidité aiguë, qui fait qu’alors que leurs victimes sont victimes de I'illusion, ils détiennent la vérité qui est comme le signe de leur pouvoir sur le monde.
Ils jouissent d’abord et, peut-être, surtout dans l’encre. Leurs lettres, dont ils font un exercice de style, car ils savent bien tout ce qu'elles peuvent dissimuler et tout ce qu'elles peuvent trahir, qu’elles sont un outil d’analyse très efficace, où se manifeste la «variété des styles» car ils savent s'adapter avec virtuosité à leur destinataire, à l'effet recherché, sont d’abord un élément constitutif de leur stratégie de conquête. Elles leur permettent de nouer et d'entretenir une liaison que le code social interdit d'établir au niveau de la parole, d’entretenir une relation dans le secret, d'investir peu à peu I'esprit de la victime désignée, d’user auprès d’elle de toutes les ressources de la suggestion. Leur ambition explicite n'est pas seulement de conquérir mais de perdre la victime, de «publier» sa déchéance et celle de la morale qu'elle prétendait défendre, en produisant dans le public la lettre d'amour qui en portera témoignage : «Dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit», signifie Mme de Merteuil à Valmont (lettre 20). Ainsi, leur jeu se déroule sur deux plans : d'une part, l'action proprement dite et, d'autre part, le récit qu'ils en font coquinement, où ils revivent les diverses phases de leurs conquêtes, ce qui accentue d'ailleurs le plaisir qu'ils y prennent.

Comme ils ne se fréquentent pas ouvertement, ils s’envoient des lettres pour maintenir leur union diabolique et leur duel pervers ; pour rivaliser dans une constante surenchère où chacun veut dominer l'autre, alors qu’étant arrivés au sommet de leur art, leur affrontement est inévitable, chacun pouvant perdre l’autre, leur mutuelle discrétion étant leur seul garant. Comme leur désir n’est pas tant de faire le mal que de le dire, dans ces lettres, ils narrent leurs exploits, célèbrent la perfection de leurs machinations, témoignent avec éclat de leur vraie nature, prennent à témoin un connaisseur qui puisse saluer leur performance. Il leur faut s'éblouir l'un l'autre. Le ton sur lequel ils s'écrivent est celui de la jalousie camouflée en plaisanterie, des conseils et des avertissements aigres-doux, de la satisfaction de soi et du dénigrement de I'autre. Ils sont ainsi I'un pour I'autre des témoins privilégiés, et chacun n’est assuré de son mérite que s'il a forcé I'autre à s'incliner devant lui,
Ainsi, le plaisir des libertins est partagé par le lecteur qui est un véritable voyeur, qui se passionne pour les manoeuvres perverses auxquelles ils se livrent, qui est séduit par leur éloquence, leur cruauté exquise, leur transgression des interdits majeurs. Et, comme les libertins, qui ont eu besoin d'écrire, sont punis pour leurs écrits, le lecteur y trouve encore un plaisir, se disant : c’est un autre que je vois puni ; et, s’il ne recevait pas sa punition, je regretterais trop de ne pas commettre, moi-même, ces transgressions.
Portant un jugement sur les libertins que sont Valmont et Mme de Merteuil, Giraudoux vit en eux un «couple parfait, celui que forment l'homme le plus beau et le plus intelligent et la femme la plus charmante et la plus fine», un «superbe assemblage lâché à la chasse du plaisir», un «mariage du mal». En fait, ce couple n’est pas aussi parfait, et chacun de ses membres montre une ambiguïté intrinsèque, une faille destructrice.
De belle constitution, charmant, plein d’esprit, intelligent, lucide, très cérébral, il visconte di VALMONTE est un aristocrate riche et oisif, un grand seigneur plein de superbe et de vanité, un séducteur invétéré, cynique, calculateur et impitoyable, un nouveau Don Juan, dont le titre, la fortune, la beauté, le culte du moi, l’orgueil, l’esprit d’indépendance et le mépris font l'oppresseur type, le type même du libertin qui, animé d'un cynisme affranchi de toute valeur morale (lettre 99), se propose le mal, et le réalise avec froideur, se voue à la conquête de toujours nouvelles proies, à chasser parmi les femmes de la bonne société, moyen pour lui d’acquérir plus de gloire, de se mettre en valeur en faisant le récit de ses «exploits» (lettres 4, 23).

Mme de Volanges le définit avec perspicacité : «Sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu’un homme peut se permettre d’horreurs sans se compromettre ; et pour être cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour  victimes. Je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites ; mais combien n’en a-t-il pas perdues?» (lettre 9) - «Il a passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur et le scandale» (lettre 32).
Pourtant, le libertin n’est pas sans ambivalence.
Le plus souvent, cet épicurien, ce jouisseur éhonté, qui consacre sa vie au plaisir, le trouve le plus souvent auprès de professionnelles, comme Émilie, ou de femmes faciles, qui n'ont pas de vertu, étant alors trop avide de satisfaire son désir, d’éviter de souffrir de sa frustration, pour souhaiter la perte et le déshonneur de celles qu'il conquiert, s’exclamant : «Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! nous ne serions auprès d'elles que de timides esclaves» (lettre 4).
C’est ainsi qu’il n’a guère de difficulté à réussir la conquête de Cécile de Volanges, étant habile à se la concilier (lettre 73), à devenir l'intermédiaire entre elle et son amoureux, Danceny, à obtenir de celui-ci la clef de la chambre de la jeune fille (lettre 84), et, sous le prétexte de lui remettre une lettre de son amoureux, y entrer, entrer aussi dans son lit alors qu’elle y est endormie, la violer, puis apaiser son émoi (lettre 96). Enfin, comme il lui a «tout appris» (lettre 110), il fait de l'ingénue une libertine.
Après avoir voulu se soustraire à cette conquête qui ne présente pas de difficulté (il reconnaît d’ ailleurs : «Vingt autres peuvent y réussir comme moi» [lettre 4]), il s’est livré à cette première entreprise pour satisfaire la marquise de Merteuil, qui fut l’une de ses maîtresses, au pouvoir de laquelle il est soumis du fait d’on ne sait de quel crime ou de quelle honte dans son passé (voir le début de la lettre 152). Ils sont maintenant des amis, mais leurs relations ne sont pas très claires. On dirait que chacun a maintenant une revanche à prendre sur I'autre, parce qu’il I'a connu amoureux. Toute I'action du roman en découle. Et il constate ironiquement : «Nous séparant pour le bonheur du monde, nous prêchons la foi chacun de notre côté», n'envisageant une nouvelle rencontre entre eux qu'«au bout de la carrière» (lettre 4) ; en attendant, ajoute-t-il, «conquérir est notre destin». Le pacte qu’ils ont scellé n'est pas un pacte d'alliance, c'est une «éternelle rupture» (lettre 10). Ils sont désormais à la fois des complices et des rivaux. Et sa vanité souffre quand il reçoit d’elle des ordres et des admonestations, le manipulateur étant en réalité manipulé, rien de ce qu’il fait n'étant authentique, rien de ce qu'il dit n'étant sincère quand il agit ou parle sous son contrôle.
N’est-il pas toujours autant épris d’elle puisque, libertin prétendument blasé et froid, il souffre quand il la voit lui préférer des amants qui ne le valent pas, comme Prévan dont il voudrait lui inspirer  la peur, tout en n’étant peut-être pas fâché qu'elle fût la victime de ce séducteur? Ne cherche-t-il pas constamment à l’impressionner pour se rendre plus désirable. C’est ainsi qu’il accepte de relever le défi qu’elle lui lance : conquérir et pervertir Cécile de Volanges, pour satisfaire son désir de vengeance à elle contre Gercourt, et son propre désir de vengeance contre Madame de Volanges dont il a découvert qu’elle médisait sur son compte auprès de la présidente de Tourvel ; et qu’il raconte chacune des étapes de sa capture à sa complice qui, en échange, devrait accepter de lui accorder ses faveurs. 
Vient donc s’opposer à son amour-haine pour Mme de Merteuil l’intérêt qu’il porte à Mme de Tourvel, à travers lequel on découvre dans le personnage une curieuse ambiguïté, une faille fatale.
En effet, d’une part, il veut faire, de la conquête de cette femme dont la vertu est légendaire, son chef-d'œuvre, car il s’attaque à travers elle tout ce qui menace son libertinage : la religion, la fidélité et la vertu : «Voilà ce que j'attaque ; voilà l'ennemi digne de moi ; voilà le but où je prétends atteindre […] Je n'ai plus qu'une idée ; j'y pense le jour, j’y rêve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en être amoureux !» (lettre 4) - «Ce n'est pas assez pour moi de la posséder, je veux qu'elle se livre» (lettre 8). Il déclare cyniquement que son «projet» «est qu'elle sente bien la valeur et l’étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera ; de ne pas la conduire si vite, que le remords ne puisse la suivre ; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie, de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle ; et de ne lui accorder le bonheur de m’avoir dans ses bras, qu’après l’avoir forcée à n’en plus dissimuler le désir.» (lettre 70). Il prétend jouir de «ces touchants combats entre I'amour et la vertu» (lettre 96). À moins que, comme Hermione, dans ‘’Andromaque’’, il ressente une cruelle délectation à troubler l’être aimé? qu’il recherche auprès d’elle la communion dont il a rêvé avec la marquise?
Il reste qu’il investit peu à peu I'esprit de la victime désignée, qui constate : «Vous m'entourez de votre idée plus que vous ne le faisiez de votre personne» (lettre 66) ; qu’il exerce sur elle une fascination serpentine (lettres 76, 78). Il est assez habile et assez retors pour, ayant appris qu’elle le fait espionner par un domestique, décider de tourner cette curiosité à son profit, en jouant une scène bien pathétique de «généreuse compassion» qui l’empêchera de douter de sa vertu : il paie au «collecteur» les dettes d'une pauvre famille de paysans à laquelle il donne en plus une somme importante, simulant la charité, et la goûtant aussi au point qu’il avoue que, devant la reconnaissance des villageois : «Mes yeux se sont mouillés de larmes, et j’ai senti en moi un mouvement involontaire mais délicieux. […] J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien ; et je serai tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaît à nous le dire.» (lettre 21).
Son ambivalence est telle que, jouant à être «amoureux et timide» (lettre 57), il l’est peut-être aussi, tentant toutefois d’obtenir de Mme de Tourvel une lettre d’amour qui serait devenue une arme pour lui, car il s’agirait moins de conquérir cette femme jugée par tous inaccessible que de la perdre, de l’abaisser, par jeu.
Mais son amour est d’abord repoussé par Mme de Tourvel. Il essaie alors de retourner la situation, et voit comme une preuve d’amour le fait qu’elle l’autorise encore à lui écrire. Roger Vailland a vu en lui un grand stratège du libertinage, exécutant avec le sang-froid d'un matador les figures successives d'une corrida immorale. Mais il avoue lui-même son embarras, et essaie d'un procédé ridiculement livresque pour en sortir : «Depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des romans et de mes mémoires secrets ; je n'en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l'aventure, ni au caractère de I'héroïne» (lettre 110). Et, pour Mme de Merteuil, auprès de laquelle il tente de rehausser une réputation qu’elle déprécie constamment, car elle s’est rendue compte que sa forfanterie ne cache que mal un sentiment amoureux puissant (lettre 10), il est «empêtré» dans une aventure sentimentale, déconcerté dès que ses principes ne s’appliquent plus à une situation qu'il n'attendait pas, «reste court corrme un écolier» ; elle voit en lui un libertin par système qui ne présente aucun danger pour une femme avertie : «Qu’il  est commode d'avoir affaire à vous autres gens à principes ! [...] votre marche réglée se devine si facilement !» (lettre 85), et le considère comme médiocre en libertinage : «Vous n'avez pas le génie de votre état ; vous n'en savez que ce que vous en avez appris, et vous n'inventez rien.» (lettre 106).
Cependant, de nouveau parfaitement maître de lui dans la poursuite de sa conquête, il n’hésite pas à fouiller un secrétaire, à regarder par un trou de serrure, à imiter le cachet de la poste, à intercepter des lettres, à jouer la comédie de la maladie ou du désespoir, à utiliser les bons offices du confesseur de la présidente, le père Anselme, pour se faire donner un rendez-vous décisif. Il fait alors croire à la dévote qu'elle a à sacrifier sa vertu pour sauver son âme à lui qui simule une violente passion. Il feint une conversion religieuse, propose de lui rendre toutes ses lettres, la prie avec beaucoup d’émotion : «Laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui en effet ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie.» (lettre 12), ne se doutant pas qu’il définissait ainsi son destin, et obtient enfin le rendez-vous qui lui permet de triompher de sa vertu, ce dont il s’enorgueillit : «La voilà donc, vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu’elle pourrait me résister !», se félicitant de sa «pureté de méthode» déployée  sur «le théâtre de [s]a victoire», constatant aussi que «l’ivresse fut complète et réciproque», et, dans son cas, «pour la première fois survivant au plaisir» (lettre 125).
On pourrait toutefois se demander ce qui, dans ces propos, est libertinage authentique ou amour masqué et qu’il n'ose s'avouer, le stratagème ayant fonctionné parce qu’il avait été plus sincère qu’il ne l’aurait voulu. En effet, lui, qui commença par badiner, qui feignit dans ses lettres à Mme de Tourvel «le déraisonnement de l'amour» (lettre 70), qui simula une violente passion, en arrive à éprouver vraiment ces sentiments, à être «amoureux et timide» (lettre 57).
Après avoir fait céder Mme de Tourvel, il se rend compte qu’elle a fini par le transformer, et Georges Poulet a pu remarquer que «s'introduit subrepticement, dans un roman qui est celui de la conquête préméditée d'une victime par un séducteur, un autre roman, inattendu, imprévisible, qui est celui de la conquête non préméditée du séducteur par la victime. Sa belle assurance se fissure pour révéler une blessure, mais aussi un bonheur, un «charme», qu'il n'arrive pas à s'expliquer clairement. Ce séducteur semble pris à son piège. Mais, en fait, les «délicieuses jouissances» qu'il éprouve à observer les émotions d'une «femme céleste», l’«ivresse complète» qu'il partage avec elle dans le plaisir, il les reconnaît plus encore qu'il ne les découvre, car il les regrettait dans toutes ses amours précédentes, car les autres femmes ne demandaient que le plaisir des sens, et qu’il était trop lâche et trop égoïste pour s'exposer à chercher avec elles autre chose : «Dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je? je croyais mon coeur flétri, et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d'une vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse» (lettre 6).
Aussi Mme de Merteuil s’offense-t-elle de cet amour, et, lectrice extrêmement fine, découvre très tôt,  entre les lignes de ses lettres concernant Mme de Tourvel, que sa forfanterie ne cache que mal un sentiment amoureux puissant (lettre 10). Aussi, alors qu’il exige d’elle sa nuit d’amour (lettre 129), elle la lui refuse, se jugeant insultée par son attitude fort cavalière, lui demandant : «Est-il vrai, Vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache à Mme de Tourvel? C’est de l’amour, ou il n’en exista jamais : vous le niez bien de cent façons ; mais vous le prouvez de mille.» (lettre 134). Le mettant au défi de rompre, elle lui fait parvenir un «petit modèle épistolaire» de lettre de rupture cinglante et destructrice qui commence par : «On s’ennuie de tout, mon ange, c’est une loi de la nature ; ce n'est pas ma faute.» (lettre 141), lettre que, d’une part, par orgueil, par lâcheté et par égoïsme, pour se prouver sa liberté, d’autre part, par souci de reconquérir Mme de Merteuil, il accepte d’écrire, la recopiant sur le dos de la «fille d'opéra», Émilie, qui l’a accueilli dans son lit, et qu’il envoie à Mme de Tourvel, qu’ainsi il «perd» comme il a perdu les autres après en avoir usé, alors qu’il sait qu’elle n’est pas comme les autres, et qu’il est suffisamment subtil pour envisager les suites fatales que ce geste va avoir. En effet, elle sombre dans la folie, et il ne peut réparer sa faute.
Le début embarrassé de la lettre 142, qui annonce à la marquise l'envoi du billet outrageant pour la présidente, montre qu'il a saisi une occasion, et suivi une suggestion, qu’il s’est mis en règle avec son ancienne maîtresse et avec ses principes, en fuyant le premier acte de courage qu'il aurait pu accomplir. Or Mme de Merteuil n’apprécie pas du tout son geste : «Quoi ! vous aviez I'idée de renouer et vous avez pu écrire ma lettre !» s'écrie-t-elle (lettre 145). Elle sait bien, elle, que le billet a dû frapper la présidente en plein cœur, que «la blessure est incurable», est même mortelle.
Aussi, lorsqu'il lui rappelle leur «traité», elle se refuse encore à lui, et fait plutôt de Danceny son amant (lettre 146). Ulcéré par cette union, il essaie de la contrarier et, pour se venger, rappelle au jeune homme, dont il est le mentor, ses sentiments envers Cécile, et le ramène dans son lit. Il essaie encore de se concilier Mme de Merteuil : «Chacun de nous ayant en main tout ce qu’il faut pour perdre l’autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement». Mais il termine cette lettre par un ultimatum, par l’exigence d’une réponse claire : «Le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent.» Comme elle lui a répondu : «Hé bien ! la guerre.» au bas même de la lettre (lettre 153), ils se livrent alors un combat à mort dans la dernière partie de l'œuvre, mort que Danceny lui inflige au cours de leur duel.
Mais on peut se demander s’il est vraiment tué par Danceny, s’il ne s’est pas plutôt donné la mort, s’il n’a pas commis un suicide d’amour parce qu’il éprouverait du remords pour avoir trahi Mme de Tourvel, s’il ne se serait pas converti à l’amour dans ses bras, et aurait abjuré le libertinage,  possédant, selon Baudelaire, «un reste de sensibilité par quoi il est inférieur à la Merteuil»?
Il reste que sa rancœur contre elle explique qu’en remettant à Danceny l'intégralité de ses lettres, il s’emploie à détruire sa réputation, élément capital pour une femme du XVIIIe siècle.
Ainsi, on le simplifie excessivement en faisant de lui un conquérant et un cynique : en fait, il est dupe de lui-même, de I'opinion, de la marquise, prisonnier d'un système qui le dispense d'initiative et d'énergie, trop futile pour avoir du cœur. S’il est pourtant sensible et capable d'émotions fines, de désirs sans vulgarité, s’il va du désir à I'amour, il reste qu’il est un faible et un vaniteux. Il n'en est pas pour cela moins dangereux ni moins méchant, et I'on peut attendre de lui les pires forfaits.
Même si son amour pour Mme de Tourvel, sa noble mort en duel, le rachètent, finalement, on peut considérer que ce prétendu don Juan moderne est un homme presque ordinaire. Certes, son cynisme, son égoïsme, sa cruauté sont un peu plus élevés que ceux de la moyenne masculine, mais, à y regarder de plus près, ce prétendu guerrier, ce fauve supposé, n'est qu'un jouet aux mains des femmes. Bien sûr, les plus jeunes  n'ont pas la force de lui résister, mais toutes ne sont pas du sexe faible, loin s'en faut, et face à celles qui ont de la détermination, il doit s'incliner.

Au fil des lettres, que la marchesa di MERTEUIL ne devrait pas écrire puisque, dans sa grande lettre autobiographique (lettre 81), elle proclame qu’il faut «ne jamais écrire», transgressant donc la règle qu’elle s’est fixée et qui est de cacher soigneusement toutes les preuves de son libertinage (transgression qui causera sa perte quand les lettres, où elle raconta ses exploits dans les moindres détails, seront publiées), le lecteur découvre un personnage complexe, vraiment fascinant car mystérieux et unique. Quelle que soit l'opinion qu’il se fait sur ses agissements, il ne peut qu'admirer les stratagèmes qu’elle met en place pour vivre la vie à laquelle elle aspire dans une société patriarcale étouffante.
Jouissant d’un statut social majeur (elle est marquise), mariée jeune et veuve très rapidement (état qui était autrefois le seul moyen pour une femme d’être libre), nantie d’une fortune importante, lucide, supérieurement intelligente, manifestant, alors que les femmes de son époque n'avaient pas le droit d'étudier (car elles étaient jugées n’en être pas dignes), une soif de connaissance de la nature humaine qu’elle satisfait chez les romanciers, les philosophes, les moralistes, elle notifie à Valmont : «Ne me confondez plus avec les autres femmes» (lettre 85), dressant d’ailleurs d’elles une typologie méprisante (lettre 81).
C’est qu’elle est animée d’un culte du moi, d’une volonté de puissance, d’un grand orgueil qui lui fait affirmer, dans la lettre 81 où elle raconte sa vie, où elle décrit l’immense travail qu’elle fit sur elle-même pour se former : «Je puis dire que je suis mon ouvrage» - «Je commençais à déployer sur le grand théâtre les talents que je m'étais donnés». Elle établit sa vie sur des «principes» profondément médités, le premier étant de ne jamais laisser prise sur elle à personne.
Dotée d’une indomptable énergie, elle réussit à faire jouer au gré de sa volonté tous ses actes, toutes ses pensées, tous ses sentiments. Elle montre une tellle détermination guerrière qu’on peut considérer qu’elle a un esprit mâle, une sexualité virile, Laclos ayant peut-être voulu pousser à l'extrême le portrait de la femme de tête, calculatrice. Elle est dangereuse parce qu'elle a su transformer sa féminité en instrument de sa volonté : «Ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir ; c'est, après celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme.» (lettre 5).
Elle possède encore une véritable passion de la liberté, qui, dès sa jeunesse, la fit vouloir exister sans ête assujettie à une autorité étrangère («Je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté» [lettre 81]). Elle comprit qu'être libre, c'est s'imposer à la liberté d'autrui. Le but de sa liberté, dont elle est le seul témoin et le seul juge, est de se faire reconnaître comme authentiquement libre par une liberté asservie.
Si elle a découvert le désir sensuel, si elle accorde une certaine importance à la jouissance érotique, comme l’indiquent quelques allusions vaniteuses de Valmont, les confidences qu’elle fait elle-même sur Ia «fantaisie» qu'elle voulut satisfaire avec Prévan (lettre 74), et sur les qualités qu'elle apprécie chez Belleroche (lettre 10), sa conscience pleinement développée n'en est pas satisfaite. Elle minimise le rôle de l’amour en affirmant qu’elle est sûre que «I'amour que I'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prétexte» (lettre 81). Et elle méprise Cécile d'être seulement une «machine à plaisir» (lettre 106) ; elle se lasse de Belleroche qui n'est plus pour elle qu'«un manoeuvre d'amour» (lettre 113).
Elle décida de se servir de l'amour pour affirmer sa liberté, parce qu’il est l'arme qu'utilise la classe adverse des hommes pour assujettir ses semblables. Elle ne pouvait que détester I'esclavage où une société dominée par les hommes maintient les femmes ; elle ne pouvait que souffrir devant toutes ces épouses qui ne sont que le reflet de leur seigneur et maître. Aussi, consciente de son statut de femme, justifiée de chercher à échapper au rôle d'objet que la société du temps voulait lui imposer, de vouloir être un sujet, elle déclare à Valmont : «Née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi.» (lettre 81). En effet, elle manifeste, par son libertinage, un véritable féminisme vindicatif qui lui fit déclarer la guerre aux hommes.
Elle n'était pas la première femme qui ait voulu s'émanciper de la tutelle masculine ; en elle se résumaient les revendications féministes élevées depuis plusieurs siècles contre une société patriarcale étouffante, au Moyen Âge par Christine de Pisan, à la Renaissance par Louise Labbé, au XVIIe siècle par les précieuses, au début du XVIIIe siècle par les femmes et les jeunes filles de Marivaux. Mais, ni précieuse, ni coquette, elle a choisi une autre voie, utilisant les armes que la société lui a laissées : l'hypocrisie et la bigoterie, car elle cache une vie fort dissolue sous le masque de la dévotion, à la façon du Tartuffe de Molière mais aussi des personnages de prudes secrètement débauchées qui étaient assez communs dans le roman du XVIIIe siècle. Mais, chez elle, I'hypocrisie, au lieu de paraître une lâcheté ridicule, est présentée comme un recours nécessaire à la duplicité et à la tromperie, comme une science demandant de la méthode et du génie. Elle acquit ainsi un art de la dissimulation qui lui permet de maîtriser sa physionomie et sa conduite, se rendre impassible, voiler le chagrin sous l'air de la sérénité, s'infliger des souffrances volontaires pour les masquer derrière une expression de contentement, réprimer toute manifestation de joie quand elle était heureuse, garantir sa sécurité absolue dans la jouissance.
Une fois qu'elle eut la certitude de se mener à la perfection, le goût lui vint de mener les autres, de passer de la défensive à l'offensive, mais en usant d’un cynisme machiavélique, en exerçant une duplicité qui lui permet de jouer tous les rôles avec une «gaieté» (lettre 74) qu'elle ne peut se refuser dans la mystification. Elle décida de se livrer à un libertinage qu’elle conçut comme I'art, en conservant son indépendance, de «faire de ces hommes si redoutables le jouet de [ses] caprices ou de [ses] fantaisies», de faire de leur désir son instrument, et de le bafouer. Le comble de son habileté consiste à goûter cet amour tout en s'en jouant, à le faire contribuer à la fois à son plaisir et à sa vengeance. Se conduisant avec une extraordinaire maîtrise, elle devint une libertine accomplie, tout en ayant la réputation d’être une jeune veuve honnête, vertueuse et «invincible», sa libération clandestine étant donc abritée sous ce masque par les préjugés mêmes auxquels elle s'est soustraite. Ne devant jamais faire mentir les apparences, elle devint une machine froide en surface menant, de son oeil d’aigle, des aventures amoureuses qui sont des conquêtes de victimes dont elle dispose à sa guise, triomphant d'autant plus qu'elle tient le sort de tous dans ses mains, tout en jouissant toujours de la confiance de la bonne société, tout en préservant son honneur sous le couvert de la vertu. Elle s'impose des règles impératives : brusquer les préparatifs d'une liaison, toujours voyants et qui font jaser ; ne jamais rencontrer dans le monde I'amant préféré, n'accepter les hommages que de ceux auxquels on ne veut pas céder, et se procurer ainsi «les honneurs de la résistance» ; ne jamais écrire ni laisser aucune preuve de sa défaite ; s'arranger pour que les amants qu'on veut quitter aient la responsabilité d'être infidèles ou avoir dans la possession d’un secret dangereux un moyen de les forcer au silence ; faire effrontément, lorsqu'on risque d'être compromise, appel à I'opinion publique qui tout entière est dupe, l’admire pour ce qu'elle n'est pas. Ainsi, elle manipule tout le monde, et d’abord ses amants, intrigue, perd des réputations, en constatant et enviant la liberté du séducteur mâle («Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins.» [lettre 81]), alors qu’elle doit, au contraire, parce que femme, manœuvrer dans l’ombre.
Elle prétend ne pas croire au pouvoir des lettres (lettre 33), retrace pourtant, dans les lettres 71, 74, 79, 81 et 85 qui sont de vrais récits enchâssés, toute sa carrière de libertine, ses machinations perfides pour dominer les hommes, exercer sur eux un pouvoir suffisant. Elle a été l’amante de Gercourt, qui l’a quittée pour une autre femme, et dont, apprenant son projet de mariage avec Cécile de Volanges, elle décide de se venger : comme il tient à la virginité de sa future épouse, elle demande à Valmont (le fait qu’elle ait besoin de ce complice est son inévitable point faible) de la conquérir, de la déshonorer et de lui donner une éducation libertine (lettre 2), tandis qu’elle s’institue le guide de sa «pupille» et jouit de ce plaisir (lettre 63), car elle la trahit, la console en lui représentant les avantages de sa liaison avec Valmont, et, dans le même temps, dissuade Mme de Volanges d'annuler le mariage avec Gercourt, tout cela sans scrupule car elle trouve justifié l'assujettissement des faibles.
Au début du roman, elle entretient une liaison avec le chevalier Belleroche. Puis, afin de prouver sa supériorité, elle élabore un stratagème par lequel elle feint de se laisser séduire par le beau Prévan, un autre séducteur célèbre dont Valmont est jaloux, et qu’il lui avait présenté comme dangereux pour sa réputation, ces conseils de prudence l’irritant ; comme Prévan a parié de la séduire, elle répond à cette humiliation en manigançant une aventure où elle le tourne en ridicule, lui inflige une punition cruelle, un châtiment impitoyable dont il sort déshonoré (lettres 74 et 81).
À s’en tenir à l’anecdote de ses conquêtes, on peut d’ailleurs regretter qu’elle dépense un génie de grand stratège à des batailles d’alcôve. Mais il est assez invraisemblable que les amants qu'elle évince s’imaginent qu'elle est vertueuse, et qu'ils ont eux-mêmes le tort du libertinage : est-il croyable que jamais aucun d’eux n'ait jamais rien deviné, n'ait fait de confidences à personne? qu'aucun domestique n'ait parlé, qu'aucune rivale n'ait été perspicace? que Prévan ou tel autre libertin mystifié n'ait jamais pu prendre sa revanche, ni trouver un ami qui lui fît plus confiance qu’à elle?
Surtout, elle fut l’amante de Valmont, sa réputation de séducteur invétéré ayant été pour elle, dès qu'elle avait entendu parler de lui, comme le défi d’une conquête qui fut telle qu’elle aurait été la seule femme capable de lui tenir tête, qu'il n'ait jamais réussi à faire plier.
Mais ils ont été heureux ensemble. En effet, elle lui déclare bien : «Vous êtes toujours ce que j’aime le mieux» (lettre 10). Son seul mot émouvant est un rappel nostalgique du passé, dans une lettre où elle lui reproche son attachement pour Mme de Tourvel : «Ne dirait-on pas que jamais vous n'en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse? Ah ! si vous en doutez, vous avez bien peu de mémoire !» (lettre 134). Si on est réduit à des hypothèses sur la nature de ce bonheur dont le souvenir est pour elle aussi humiliant que fascinant, sur la cause de sa fin (est-ce parce que elle aussi maîtrise l'art du libertinage?), s’il semble que chacun a maintenant une revanche à prendre sur I'autre, parce qu’il I'a connu amoureux, il reste qu’elle regrette ce bonheur, que c’est là sa faille, et que toute I'action du roman en découle.
Avec Valmont, elle entretient des rapports d'amitié aussi longtemps qu'il ne représente aucun danger pour elle. Et le pacte qu’ils ont scellé n'est pas un pacte d'alliance, mais une «éternelle rupture» (lettre 10). Étant I'un pour I'autre des témoins privilégiés, chacun n’étant assuré de son mérite que s'il a forcé I'autre à s'incliner devant lui, il leur faut s'éblouir l'un l'autre. Ils s’écrivent sur le ton de la satisfaction de soi et du dénigrement de I'autre, de la jalousie camouflée en plaisanterie. Mais, dans la cinglante lettre 81, elle entend lui prouver sa supériorité : «Et qu’avez-vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois?»  Plus ingénieuse que lui, elle lui donne des leçons de stratégie (lettre 81), des conseils qui sont ceux d'un régisseur à un acteur (lettre 63), des avertissements aigres-doux, le piquant parfois, le rabrouant («Vous refusez de m'obéir» [lettre 5]), le rabaissant et le persiflant : «En vérité, vicomte, vous êtes bien comme les enfants, devant qui il ne faut rien dire et à qui on ne peut rien montrer qu’ils ne veuillent s’en emparer aussitôt !» (lettre 134). Il dénonce son despotisme (lettre 4). Elle se livre souvent pour lui à des explications de texte, comme dans la lettre 33, où elle commente une lettre qu’il a reçue de Mme de Tourvel, et lui reproche : «La véritable école [faute digne d’un écolier] est de vous être laissé aller à écrire.» En fait, en se moquant de son entreprise de séduction épistolaire, elle n'est pas de bonne foi, car, quelle que soit sa pensée réelle sur l’effet de ses lettres à Mme de Tourvel, elle veut surtout lui faire entendre que celles qu'il lui envoie à elle-même n’ont aucun effet, et, ce faisant, elle livre le combat sur le bon terrain, celui de la correspondance. Lectrice extrêmement fine, elle lit entre les lignes, et découvre très tôt dans ce que le séducteur lui dit de la présidente que sa forfanterie ne cache que mal un sentiment amoureux puissant (lettre 10).
Or, si elle lui permet le plaisir, elle se trouble dès qu'elle le sent amoureux : «Déjà vous voilà timide et esclave ; autant vaudrait être amoureux» (lettre 10). Elle déteste Mme de Tourvel parce qu'elle craint qu’il ne retrouve en elle le bonheur qu’ils ont connu ensemble, un bonheur qui vaut mieux que le libertinage. Inquiète de la passion qu’il met dans son entreprise de conquête, elle critique sa façon de procéder («À quoi vous servirait d'attendrir par lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter?» [lettre 33]). Jouant sur sa vanité, elle lui fait honte de cette liaison indigne de lui. Elle lui impose l’obstacle de la perversion de Cécile, puis, une fois le méfait commis, considère que c’était une proie bien facile, dont il est impossible de se glorifier. Elle se moque de ses fausses manoeuvres (lettre 33). Enfin, elle I'oblige, en piquant encore sa vanité, à rompre avec peut-être la seule femme qu’il ait jamais aimée, lui tend, en quelque sorte, un piège en lui faisant écrire sa lettre de rupture. Elle triomphe alors. Et à lui qui croit avoir accompli un exploit, elle réplique dédaigneusement : «Vous ne possédez absolument que sa personne ; je ne parle pas de son coeur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guère ; mais vous n'occupez seulement pas sa tête» (lettre 113) - «Ce n'est pas sur elle que j'ai remporté cet avantage ; c'est sur vous : voilà le plaisant et qui est délicieux. […] Oui, vicomte, vous aimiez beaucoup Mme de Tourvel, et même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée.» (lettre 145).
Trahissant la promesse qu’elle lui avait faite d’un «renouvellement de bail» avec elle : «Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m'en fournir la preuve, venez, je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans ce genre d'affaire on ne reçoit de preuves que par écrit, venez m'apporter le gage de votre triomphe...» (lettre 20), elle se refuse constamment à lui et, enfin, trouvant le moyen de se débarrasser de Belleroche, au lieu de le satisfaire, elle choisit comme nouvel amant le damoiseau Danceny. D’où les hostilités auxquelles elle consent en écrivant au bas de la lettre-ultimatum du vicomte : «Hé bien ! la guerre.» (lettre 153), une guerre qui, dès leur première rencontre, était inévitable, l'accumulation entre eux d'une correspondance explosive ayant instauré un véritable équilibre de la terreur qu’elle a rompu, l’excellente tacticienne qu’elle est, qui n’avait fait des autres, dans cette véritable partie d’échecs, que des pions qu'elle mettait en mouvement, voyant cependant, dans les coups rapides qui sont alors joués, la maîtrise lui échapper.
C’est la rupture du pacte qui la liait à Valmont qui entraîne la ruine de son empire. C’est aussi en manquant à son plus grand principe, «ne jamais écrire» (lettre 81), qu’elle s’est perdue. La plus habile des femmes, la plus méchante aussi, est punie par là où elle a péché. Et, si cette guerre s'achève par la mort physique de Valmont, elle s’achève pour elle par une mort sociale. Elle perd finalement ce qu’elle avait de plus précieux : sa réputation, que toute sa vie elle s’était attachée à préserver, sa fortune engloutie dans un procès. et sa féminité qu’une petite vérole flétrit en la défigurant.
Mais on peut aussi voir en elle la seule rescapée du désastre : bien que borgne et désargentée, elle peut encore survivre, et même recommencer à vivre, selon ses «principes» libertins. Son physique peut devenir un atout pour feindre l’austérité, et son esprit est intact.
Comme cela vient d’être démontré, il est trop facile de voir en elle un personnage machiavélique, une séductrice aux prestiges lucifériens, un monstre au coeur absolument froid, une incarnation du mal, la personnification du libertinage du XVIIIe siècle. Elle est d’abord une femme révoltée contre la condition féminine, qui cependant n'a évidemment rien changé à la structure des relations qui mettent la femme dans la dépendance de I'homme, n’a pu en aucune façon servir la cause du féminisme, car la solution qu'elle adopta ne valut que pour elle, et n'eut de chances de réussir que dans la mesure où les autres femmes continuaient d'être aveugles et esclaves, sa conduite semblant même dirigée encore plus contre elles que contre les hommes. Elle est surtout une femme dont l’amour blessé avait fait une terrible vengeresse.
Tous les personnages du roman sont écrasés par sa personnalité, et, s’il s’élève au chef-d’oeuvre, il le doit en grande partie à cette première femme de la littérature à rivaliser avec un homme en toute égalité dans la scélératesse, à ce personnage féminin le plus volontaire de la littérature européenne. 
Ainsi, dans ‘’Les liaisons dangereuses’’, dont on peut se demander qui est le véritable héros (Mme de Tourvel, parce qu’elle est la plus pure? Valmont, parce qu’il est le plus ambigu? Mme de Merteuil, parce qu’elle est la plus machiavélique?), Laclos fit preuve d’une remarquable pénétration psychologique, surtout en ce qui concerne ses personnages féminins, même si  leur vie intérieure n’est pas entièrement déchiffrable. La subtilité de ses analyses, qui sont d’une discrétion toute classique, même s’il ne sait pas toujours résister aux tentations d'une casuistique ingénieuse et aux inventions d'une sophistique trop facile, fait de son oeuvre un chef-d’œuvre du roman d'analyse.
Peu d’oeuvres ont provoqué autant d’interprétations divergentes, opposées.

"Les liaisons dangereuses" demeurent énigmatiques, et on se demande, depuis deux siècles, si, œuvre d’un bourgeois peignant des aristocrates, elles sont morales ou immorales, alors que Laclos se déclarait disciple de Jean-Jacques Rousseau.
Le roman par lettres exclut a priori la présence et I'intervention de I'auteur.

Mais Laclos, qui n’est présent que dans l'’’Avertissement de l'éditeur’’ et la ‘’Préface du rédacteur’’, textes ambigus à souhait, écrivit dans le second.

Il me semble au moins que c'est rendre un service aux moeurs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but.» Il s’octroya le droit d’«observer, sentir et peindre», selon sa définition du romancier. Il insista sur les «utiles leçons» et les «vérités importantes» de son livre. Il prétendit avoir fait, de cette analyse cruelle des sentiments et des manœuvres de séduction maléfique de libertins, un livre moral.

On peut se demander si le noble de fraîche date qu’il était Laclos, en fait un bourgeois qui n'était pas vraiment admis dans la haute société, n’avait pas voulu montrer le désordre et le pourrissement des moeurs de l’aristocratie à son époque, étant persuadé que la morale n'y avait pas sa place, que le coeur ne pouvait s’y faire entendre, que les femmes y étaient esclaves, leur libertinage n'étant qu’un esclavage inversé. Même si ses deux libertins ne retournent pas leur hypocrisie contre celle du corps social, comme le faisait le Don Juan de Molière, il aurait pu vouloir se venger dans ce tableau critique des moeurs d’une aristocratie corrompue, dans ce réquisitoire contre une classe en plein désarroi, ayant peut-être saisi ce que Cocteau appela «la minute exquise où les civilisations s'écroulent». Mais il ne faut pas se faire trop facilement et rétrospectivement prophète en voyant dans ‘’Les liaisons dangereuses’’ une prémisse de la Révolution.

On peut penser que, pour lui, à la façon de Barbey d’Aurevilly qui disait de ses ‘’Diaboliques’’ : «Toute peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace», ou de Gide qui déclarait : «On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments», l’impitoyable peinture du vice avait, à elle seule, une valeur curative, purificatrice. Et les événements qui s’accumulent dans le dénouement diraient nettement son intention moralisatrice. Devant une image aussi «terrible» et «sinistre», il serait inutile de se demander s’il était sincère quand il prétendait moraliser : le livre portait sa morale en lui-même. D’ailleurs, s’il avait introduit dans l'oeuvre un représentant de sa pensée, un porte-parole de la morale sentimentale qui eût avec éloquence fustigé les libertins, et déploré I'aveuglement de leurs victimes, la condamnation du libertinage eût été sans portée, alors qu'elle est dans I'exactitude de la peinture, et dans la rigueur logique du dénouement.

D’autre part, on peut estimer qu’en dépit de la satire déguisée des illusions du sentimentalisme qui expose à la duperie et au ridicule, est exalté I'amour, qui ne peut être l’objet d’un jeu, qui dépasse la nature, peut-être la société, qui aspire au bonheur durable, qui engage et transforme. Le cri pur de I'amour, qui suffit à dénoncer et à condamner sans équivoque I'impureté criminelle des libertins, se fait entendre dans la lettre 128 de Mme de Tourvel à Mme de Rosemonde, la seule où I'on puisse penser que I'auteur soit absolument d'accord avec un de ses personnages, le moment sublime du livre. Quand cette voix a parlé, les plus brillants artifices des libertins semblent dérisoires.
Inversement, on peut mettre en doute que, dans le roman, la morale l’emporte, on peut se demander si Laclos ne fut pas, observateur impartial et profond dont l'intelligence ne frémissait devant aucun trait de «satanisme», lui-même un libertin hypocrite fasciné par le mal.

Il laisse face à face la rationalité libertine et la sentimentalité vertueuse.

Pendant trois cents pages, même si l’érotisme y est elliptique, le mal est abondamment peint, et on peut considérer le roman comme immoral, y voir, comme Gide encore (qui ne manqua lui aussi d’ambiguïté), un «vrai manuel de la débauche», comme d’autres, un bréviaire du libertinage, la peinture impassible, exagérée et complaisante de mœurs abominables, de certaines perversions des esprits et des cœurs, l’exposé d’une transgression généralisée, un véritable traité du mal. L’acte d'accusation des libertins comporte beaucoup d'admiration pour eux : s’ils sont des scélérats, ils sont aussi des héros, des héros du mal qui, s’ils sont voués à l'échec, sont grands jusque dans leur chute. À la fin, faut-il prendre au sérieux le châtiment qui frappe Valmont et Mme de Merteuil? leur condamnation tragique n’est-elle pas une punition du genre de celles qu’on voit que dans les contes? ne peut-on considérer, comme le fit le réalisateur Milos Forman, qui adapta le roman, que ce n’était qu’une soumission conventionnelle aux exigences de l’idéologie dominante, qu’une façon de parer aux accusations auxquelles il pouvait s’attendre, qu’un moyen d'éviter la censure, qu’un hommage ironique rendu aux bonnes moeurs?

D’ailleurs, si le dénouement était parfaitement moral, les personnages positifs triompheraient, au détriment des personnages négatifs. Or Mme de Tourvel, la plus positive des figures féminines de l’œuvre, meurt d’avoir trop aimé ; Cécile, qui est cependant loin d’être positive du fait de sa sottise, sort du couvent au début de l’œuvre pour le réintégrer à la fin ; Danceny, qui n’a pas résisté au charme vénéneux de Mme de Merteuil, part pour Malte, désillusionné. Seules Mme de Volanges et Mme de Rosemonde demeurent, celle-ci pour exprimer finalement la bonne conscience chrétienne : «Laissons [«ces tristes événements»] dans l’oubli qui leur convient ; et sans chercher d’inutiles et d’affligeantes lumières, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors même qu’elle ne nous permet pas de les comprendre.» (lettre 172), tandis que celle-là lui répond : «Adieu, ma chère et digne amie. Je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes.» (lettre 173).
En avril 1782, Mme Riccoboni, dont le «cœur» avait été «blessé» par le «caractère de Mme de Merteuil», écrivit à Laclos : «Malgré toute votre adresse à justifier vos intentions, on vous reprochera toujours, Monsieur, de présenter à vos lecteurs une vile créature, appliquée dès sa première jeunesse à se former au vice, à se faire des principes de noirceur, à se composer un masque pour cacher à tous les regards le dessein d'adopter les moeurs d'une de ces malheureuses que la misère réduit à vivre de leur infamie. Tant de dépravation n'instruit pas. On s'écrie à chaque page : cela n'est point, cela ne saurait être !» Laclos lui répondit en reconnaissant «l’impression d’horreur que le vice doit toujours exciter», en ajoutant : «Le tableau en est attristant, je l'avoue, mais il est vrai.» Il confirmait ainsi sa conception didactique et pédagogique de la littérature en général et du roman en particulier. Jusqu'à la fin, il soutint qu'il avait voulu défendre la vertu. Mais, s'il promit une suite édifiante à ce roman scandaleux, il ne l'écrivit jamais.
En fait, devant ce roman, qui n’est pas un roman à thèse mais un ouvrage unique par I'ambiguïté de son message, toute liberté est laissée à l’interprétation personnelle du lecteur. Le débat sur la moralité du roman reste ouvert.
C’est d’autant plus étonnant que Laclos déclara l’avoir conçu comme un hommage au «plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman», ‘’La nouvelle Héloïse’’, qu’il donna à son propre roman cette épigraphe tirée de la préface de celui de Jean-Jacques Rousseau : «J’ai vu les moeurs de ce siècle et j’ai publié ces lettres», et qu’il parsema le texte d’autres citations de ce livre.
Laclos, se réclamant de Rousseau dans ses lettres ou ses essais, pensait comme lui que le mal est enraciné non dans l’être humain, mais dans la société. Il eut, lui aussi, la nostalgie d'une pureté originelle corrompue par Ia vie sociale et les dangers du rituel mondain. Il considéra encore, dans le même esprit que Rousseau, que l'écriture est la cause et le symptôme de la dégradation des moeurs, un «supplément» pervers et mensonger venu se substituer à la parole translucide des premiers temps ; or les libertins écrivent pour célébrer leurs exploits, et les vertueux pour se donner I'illusion de tenir le péché à distance, alors même que s'établit une liaison interdite ; dans les deux cas s’exprime un orgueil coupable. Ainsi, dans ‘’Les liaisons dangereuses’’, comme dans ‘’La nouvelle Héloïse’’ et les romans sentimentaux qui en sont issus, le desséchement rationaliste du XVIIIe siècle est contrebattu par la recherche de l’émotion
Mais cette recherche se fait à travers la méchanceté parce que son rousseauisme était, comme il le qualifia lui-même, un «rousseauisme noir». À l’inverse du sentimentalisme larmoyant de Rousseau, il sembla placer l’énergie de l’intelligence bien au-dessus de la bonté. Montrant I'inaptitude de l'être humain à diriger son destin, il manifesta un net pessimisme : «L’humanité n’est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l’honnête homme ses faiblesses. Cette vérité me paraît d’autant plus nécessaire à croire, que c’est d’elle que dérive la nécessité de l’indulgence pour les méchants comme pour les bons, et qu’elle préserve ceux-ci de l’orgueil, et sauve les autres du découragement» (lettre 32). On peut même voir dans son roman une ‘’Nouvelle Héloïse’’ renversée : le mouvement ascendant vers l'ordre et l'harmonie qui se faisait dans le roman de Rousseau autour de Julie s'inversa en un mouvement descendant vers le désordre et la discordance autour d'une figure féminine également dominatrice, Mme de Merteuil, image négative et de Julie et de Mme de Tourvel, cette victime de l'homme qui est I'exact contre-pied de Saint-Preux : Valmont.
Ainsi, ‘’Les liaisons dangereuses’’ sont un tableau de mœurs du XVIIIe siècle inspiré par Rousseau  mais où l’on assiste à I'affrontement entre des libertins et la société sans qu’on soit sûr du but que s’y était donné Laclos.
Laclos avait prédit que ‘’Les liaisons dangereuses’’ allaient «retentir sur la terre quand il y aurait passé».

En effet, le livre, stupéfiant le public qui le considéra comme sulfureux, se vendit très bien, remporta un immédiat et immense succès, connut un retentissement extraordinaire, provoqua un grand scandale, et déchaîna une controverse. On essaya de trouver les clés, de nommer les personnages réels qui auraient inspiré Laclos.

Les deux mille exemplaires de la première édition furent vendus en dix jours, et un nouveau contrat, pour une deuxième édition de deux mille exemplaires, fut signé dès le 21 avril 1782. Puis les tirages se succédèrent. 

«Peu de nouveautés, écrivit Meister dans la ‘’Correspondance littéraire’’ d'avril 1782, ont été reçues avec autant d'empressement.» Tout en accordant à l'ouvrage «beaucoup d'esprit», la critique resta prisonnière d'une conception moralisante du roman : «Ces images continuelles de la dépravation la plus horrible, qui ne sont adoucies par aucun caractère opposé, ne sont-elles pas révoltantes, dégoûtantes?», interrogeait ‘’L'année littéraire’’ (1782, III). Mme Riccoboni, dès avril 1782, écrivit à Laclos sa double indignation de femme et de Française : «C'est en ma qualité de femme, Monsieur, de Française, de patriote zélée pour l'honneur de ma nation, que j'ai senti mon coeur blessé du caractère de Mme de Merteuil.» Melchior de Grimm aborda le roman avec sa prudence cauteleuse à l’égard de la bonne compagnie : «Pour avoir une juste idée de tout le talent qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître dans l'ouvrage [‘’Les liaisons dangereuses’’] de M. de La Clos [sic], il faut le lire d'un bout à l'autre ; il n'y en a pas moins dans l'ensemble que dans les détails. Les caractères y sont parfaitement soutenus ; Ia naïveté de la petite de Volange est un peu bête, mais elle n'en est que plus vraie, et ce personnage contraste aussi heureusement avec I'esprit de madame de Merteuil que les vices de celle-ci avec la vertu romanesque de madame de Tourvel.» ; il félicita Laclos de la rare «variété des styles» dont il s’était flatté dans sa préface, mais reprocha au dénouement son invraisemblance «moliéresque», son «artifice» (‘’Correspondance’’, tome Xl, avril 1782). La Harpe attaqua le roman avec sa hargne de réactionnaire.

Laclos, devenu célèbre bien malgré lui, ne voulut pas consentir à la réelle portée de son livre : jusqu'à la fin, il soutint qu'il avait voulu défendre la vertu, mais on le chassa des salons parisiens car on craignait son oeil un peu trop voyeur.

Cinquante éditions se succédèrent entre 1782 et 1815.

Et, comme toujours au XVIIIe siècle, le succès suscita de nombreuses imitations, visibles notamment dans des titres ou sous-titres de romans de la fin du siècle, comme "Les nouvelles liaisons dangereuses" de Nougaret (1792).

Après la Révolution, le comte de Tilly fit du roman, dans ses ‘’Mémoires’’, «un des flots révolutionnaires [...] tombés dans l'océan qui a submergé la Cour.»

Le roman fut traduit en allemand dès 1783, en anglais en 1784.
Au XIXe siècle, ‘’Les liaisons dangereuses’’, jugées vraiment dangereuses, furent interdites par les tribunaux de 1815 à 1875, connurent un long purgatoire causé par la sensibilité romantique.

On y vit «une œuvre par laquelle s’exprime l’intellectualisme desséché d’un classicisme qui s’est tari, et d’un mode de vie épuisé», la chronique scandaleuse d'une décadence.

De 1815 à 1875, il subit une censure durable, la Restauration ayant fait disparaître cette œuvre jugée licencieuse, la Monarchie de Juillet la condamnant pour «outrage aux bonnes mœurs» en 1832. Elle fut donc quasiment ignorée.

Les jugements des critiques, peu nombreux, furent dans I'ensemble très sévères.

On plaça Laclos parmi les petits conteurs érotiques du XVIIIe siècle ; les commentaires frappent par leur ton essentiellement moral. Musset, avec sa suffisance de dandy romantique, rabaissa Valmont au-dessous de Lovelace.

Des tentatives de réhabilitation furent faites par Stendhal (qui connut Laclos à Milan, et lui «fit la cour» à cause des ‘’Liaisons dangereuses’’ qui annonçaient sa propre oeuvre) et, surtout, par Baudelaire qui écrivit, en 1866, pour un projet de préface, des ‘’notes’’ sur ‘’Les liaisons dangereuses’’ : «lci, comme dans la vie, la palme de la perversité reste à la femme. [...] Beaucoup de sensualité.

Très peu d’amour, excepté chez Mme de Tourvel. [...] [Merteuil, c'est] fæmina simplex dans sa petite maison. La Merteuil, tartuffe femelle, tartuffe de moeurs, tartuffe du XVIIIe siècle. [Cécile, Belleroche ne sont que des manoeuvres de I'Amour, [des] machines à plaisir. [...] Cécile, type parfait de la détestable jeune fille, niaise et sensuelle [...] tout près de l'ordure originelle. La Présidente. […] type simple, grandiose, attendrissant. Admirable création. Une femme naturelle. Une Ève touchante. La Merteuil, une Ève satanique. La Merteuil a tué la Tourvel. Elle n'a plus rien à vouloir de Valmont. Valmont est dupe. Valmont est surtout un vaniteux. Il est d'ailleurs généreux toutes les fois qu'il ne s'agit pas des femmes et de sa gloire. [...] Valmont, ou la recherche du pouvoir par le Dandysme et la feinte de la dévotion. [...] Don Juan devenant tartuffe et charitable par intérêt. Cet aveu prouve à la fois l'hypocrisie de Valmont, sa haine de la vertu, et, en même temps, un reste de sensibilité par quoi il est inférieur à la Merteuil, chez qui tout ce qui est humain est calciné. [...] Il dit à sa mort qu'il regrette la Tourvel, et de l'avoir sacrifiée. II ne I'a sacrifiée qu'à son Dieu, à sa vanité, à sa gloire, et la Merteuil le lui dit même crûment, après avoir obtenu ce sacifice. C'est la brouille de ces deux scélérats qui amène les dénouements. […]

Le dénouement. La petite vérole (grand châtiment). La Ruine. Caractère général sinistre. La détestable humanité se fait un enfer préparatoire. L'amour de la guerre et la guerre de l'amour. [...] L'amour du combat. La tactique, les règles, les méthodes. [...] Puissance de l'analyse racinienne. Gradation. Transition. Progression. Talent rare aujourd'hui, excepté chez Stendhal, Sainte-Beuve et Balzac. Livre essentiellement français. Ce livre, s'il brûle, ne peut brûler qu'à Ia manière de la glace. Livre d'histoire. [...] La Révolution a été faite par des voluptueux. [...] Les livres libertins commentent donc et expliquent la Révolution. [...] La Présidente. Seule appartenant à la bourgeoisie. (Remarque importante).» Il releva aussi l'énergie des personnages et leur conscience dans le mal, les règles stratégiques de leur libertinage, leur sensualité, la nécessité psychologique de la brouille entre Valmont et Mme de Merteuil, la portée historique et sociale du roman, pour lui «un livre de moraliste aussi haut que les plus élevés, aussi profond que les profonds». Mais ces ‘’Notes sur ‘’Les liaisons dangereuses’’ ne furent publiées qu'en 1903. Elles firent alors date dans I'histoire de la critique.
Entretemps, les frères Goncourt, par leurs travaux, préparèrent le terrain d’un nouvel intérêt pour le siècle des Lumières.
Le XXe siècle redécouvrit le chef-d'œuvre de Laclos.

Ce furent des écrivains, des essayistes qui amorcèrent la redécouverte, proposèrent du roman des interprétations passionnées, et souvent passionnantes.

En 1881, Paul Bourget en avait parlé dans ses ‘’Essais de psychologie contemporaine’’.

De 1894 à 1914, ‘’Les liaisons dangereuses’’ furent éditées dix fois.

Si plusieurs de ces éditions étaient médiocres, le ‘’Mercure de France’’ en sortit une en 1903, établie par les soins de Jean de Gourmont, et qu’on peut considérer comme le premier essai d’édition critique «collationnée sur le manuscrit original, suivie d’une notice, de variantes et de lettres inédites».
En 1905, Heinrich Mann donna une nouvelle et belle traduction en allemand. Le roman allait être traduit aussi en italien, japonais, hongrois, polonais, portugais, russe, espagnol, turc, serbo-croate, etc.
La même année, Émile Dard donna une remarquable biographie de Laclos.

En 1908, Léon Blum publia un article de ‘’La grande revue’’.

En 1923, Marcel Proust, dans "La prisonnière", vit en Laclos «l’honnête homme par excellence, le meilleur des maris qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres».


André Suarès déclara : «Il n'est ni voluptueux ni obscène, il est bien pis : il est meurtrier.» 

En 1924, André Gide, si, dans ‘’Les dix romans que je préfère’’, vit dans ‘’Les liaisons dangereuses’’ un «vrai manuel de la débauche» ; il classa le livre en second, après ‘’La chartreuse de Parme’’.

En 1932, Maurice Allem donna une première édition des ’’Oeuvres’’ de Laclos dans la ‘’Bibliothèque de la Pléiade’’.

La même année, Jean Giraudoux, qui considérait Laclos comme un bourgeois rendu perspicace par la jalousie, qui se serait substitué par I'imagination à ses personnages, écrivit : «Si son entreprise consciente était de stigmatiser le libertin et le débauché, son ambition inconsciente était de montrer qu'un officier d'artillerie sérieux et vertueux [...] pouvait devenir leur maître à tous» ; voyait en lui «un Racine aidé par Vauban» (pour lui, le roman fut «l’apparition, la dernière apparition dans notre littérature, apparition attardée, composée, froide, mais indéniable, de celui qui ne mélange pas, qui ne bégaye pas, qui ne transige et ne cille pas : de Racine.») ; fut sensible à l’hermaphroditisme du couple tragique : «L'originalité et le tragique de l'intrigue ne résident pas seulement dans le concours que se livrent Mme de Merteuil et Valmont, et dans Ia colère qu'éprouve la jeune veuve de voir que l'homme, malgré tous ses efforts, ne peut être aussi facile que la femme. Ils résident bien plutôt dans leur connivence. La beauté, le sujet et le scandale du livre, c'est le couple, le mariage du mal. Le libertinage n'est plus une occupation d'égoïste ou de solitaire, le mal n'est pas un Don Juan soutenu par un comparse ridicule et tremblant ; il est le couple parfait, celui que forment l'homme le plus beau et la femme la plus charmante et la plus fine. Couple qu'a scellé sur une ottomane, suivant les paroles de l'auteur, non l'amour mais l'accouplement. Couple qui a même échangé ses attributs, la femme se donnant aussitôt, au premier désir et à la première invite, l'homme se complaisant dans la résistance. C'est le spectacle de ce superbe assemblage lâché à la chasse au plaisir qui est nouveau, de l'égalité de la femme et de l'homme dans l'exercice de leurs passions.»

En 1939, André Malraux, dans l’article “Laclos“  d’un “Tableau de la littérature française de Corneille à Chénier”, projeta sa propre conception de la vie : «Pour leurs deux personnages significatifs, ‘’Les liaisons’’ sont une mythologie de I'intelligence et de la volonté ; et leur mélange permanent de volonté et de sexualité est leur plus puissant moyen d'action.»

En 1941, François Mauriac, dans ‘’La pharisienne’’, fit dénoncer par son personnage de prêtre «l'esprit du mal, tel que le XVIIIe siècle l'a connu et décrit dans ‘’Les liaisons dangereuses’’», et qui est pour lui «la volonté de détruire une âme».

En 1946, Marcel Arland considéra l’oeuvre comme le «chef-d’œuvre du roman pur», en appréciant la rigueur de sa composition, son dépouillement et sa sécheresse exceptionnels.

En 1953, Roger Vailland, s’appuyant sur ce qu'on sait de Laclos par ailleurs, sa correspondance, ses autres écrits, sa conduite pendant la Révolution, donna de lui une interprétation à la fois sociologique et psychologique : «Par le moyen des ‘’Liaisons dangereuses’’, la bourgeoisie, classe montante, attaque I'aristocratie, classe privilégiée ; sans doute Mme de Tourvel est-elle d'une bourgeoisie trop proche de I'aristocratie et trop semblable à elle pour incarner vraiment la classe humiliée et revendicative, mais les moeurs dont elle est victime sont très nettement caractérisées comme celles des privilégiés : Laclos, si avare de détails extérieurs, a fait voir les cercles de gens titrés auxquels appartiennent le vicomte de Valmont, la marquise de Merteuil, Prévan, les comtesses de B... (ou de P…?), la vicomtesse de M….». Il supposa que cet officier pauvre, sentimental et vertueux, devait détester les aristocrates vicieux, et voir en eux les obstacles à son avancement, les ennemis de sa classe et de son idéal. Il supposa aussi que sa haine se doublait d'adoration («Le capitaine-commandant de Laclos hait-adore le vicomte de Valmont»), qu’il était fasciné par les méchants qu'il avait à peindre, et en qui le mal atteignait une espèce de plénitude et de perfection («La fascination que Laclos a dû éprouver et sans laquelle il n'aurait sans doute pas pu créer Mme de Merteuil et Valmont [...], c'est celle que peut exercer sur nous un sentiment mené ainsi à son achèvement, à une perfection presque inhumaine.»). Il supposa encore que, romancier réaliste et non pamphlétaire passionné comme il avait voulu l'être à I'origine, il respecta la vérité du libertinage, et en comprit mieux l'âme et les lois que les libertins eux-mêmes, sa formation mathématique le rendant capable de l'analyser comme il eût analysé la trajectoire d'un obus. Cette dernière explication serait la moins fantaisiste, si le fait à expliquer était d'abord sûrement établi. Or les libertins des ‘’Liaisons dangereuses’’ ne sont pas admirables, et Laclos ne les a pas présentés comme tels, même involontairement.

En 1951, dans ‘’La révolte de Madame de Merteuil’’, Dominique Aury déclara avoir lu  dans le roman son espoir de libérer la femme.
Il fallut attendre la moitié du siècle pour que Laclos, à qui le manuel de Lagarde et Michard n'accordait que sept lignes pincées en 1953, soit étudié par les universitaires. Il profita du renouveau de faveur que connurent les études sur le XVIIIe siècle.

Les éditions du texte se multiplièrent. Les travaux se succédèrent.

‘’Les liaisons dangereuses’’ sont maintenant mieux situées dans l'histoire des formes littéraires et dans celle de la société, étudiées dans leur écriture et leur poétique particulières, les chercheurs utilisant des outils d'analyse très divers dans une tension parfois polémique (Laclos fut, comme Racine, dans les années 1960 à 1970, un champ de bataille entre les «formalistes», tel Todorov, et les critiques classiques), sans que pour autant les contributions plus anciennes se soient trouvées toutes dépassées.

Georges Poulet considéra le héros comme une «pensée calculatrice» qui veut dominer I'avenir grâce à ses projets. Jean-Luc Seylaz affirma : «Le mal pur, c'est ici I'intelligence pure».

Pour René Pomeau, Laclos voulait «démontrer le danger des liaisons et il a écrit le roman séduisant de la séduction».

Georges May parla d'un «miracle de rigueur, d'équilibre, de profondeur, de composition, de style». Les autres thèmes de prédilection de la critique sont la psychologie des personnages, le donjuanisme, l'érotisme et la sexualité, la vengeance, bref tout ce qui touche aux rapports entre la volonté de puissance, la passion, la religion et la morale. La critique féministe proposa ses propres interprétations.

Ce foisonnement d'approches critiques atteste la richesse d'une oeuvre qui, comme tout chef-d'œuvre, garde sa part de mystère. Ses qualités reconnues de rigueur formelle, d’ambivalence du sens, de virtuosité des jeux et enjeux de sexe et de pouvoir, d’ironie et d’autoréférence, d’acuité de la critique sociale, firent considérer Laclos comme un écrivain «moderne», le roman comme occupant une place particulière dans I'histoire du roman français.

En 1979, Laurent Versini réalisa une édition des ‘’Oeuvres complètes’’ dans la "Bibliothèque de la Pléiade’’.

Avec l'exploitation de nouvelles archives, la biographie fut mieux connue.


Cependant, le roman ne figura parmi les auteurs inscrits au programme de l'agrégation de lettres qu’en 1982.
Si le scandale qui, en son temps et presque jusqu'au nôtre, entoura Laclos et ‘’Les liaisons dangereuses’’ a aujourd'hui disparu, ce roman, l’un des plus intelligents de la littérature universelle, n’en finit pas de sidérer ses lecteurs, a encore une emprise puissante sur l’imaginaire collectif, exerce une frande influence sur la littérature romanesque.
Malgré l'obstacle de la forme épistolaire, de son caractère fort abstrait, du fait de son aura de scandale, le roman a été fréquemment adapté :
Même si cette étude du cœur et de l’esprit humain que sont ‘’Les liaisons dangreuses’’ se caractérise par sa lenteur, le roman semblant plus apte à en rendre compte, alors que le théâtre, qui est soumis à plus de contraintes, se heurte à cette lenteur (Laclos indiquait lui-même que «l’un des principes qui séparent le plus le talent de l’auteur dramatique de celui du romancier, est que l’un doit regarder comme superflu tout ce qui n’est pas nécessaire, tandis que l’autre doit recueillir comme utile tout ce qui n’est pas superflu»), le roman a quelque chose de théâtral car, si Mme de Merteuil doit se venger de Gercourt, une simple vengeance ne suffit pas : celle-ci doit encore être spectaculaire ; toute la préparation de cette vengeance, secondée par celle de Valmont à l’égard de Madame de Volanges ainsi que la séduction de Mme de Tourvel sont conduites comme si elles allaient donner lieu à des représentations. Et chaque personnage s’exprime avec son style propre. Mme de Merteuil évoque «le grand théâtre» sur lequel elle a déployé ses talents (lettre 81) ; Valmont parle de la chambre de Mme de Tourvel comme du «théâtre» de sa victoire sur elle (lettre 125).

En conséquence, le texte de Laclos était suffisamment théâtral, et n’attendait que sa matérialisation sur la scène. Les adaptateurs saisirent immédiatement sa grande théâtralité. La forme du roman épistolaire se prête bien à l’expérience adaptative, et la construction du roman selon une technique dramatique encourage ce processus.
En 1834, Ancelot et Xavier firent des ‘’Liaisons dangereuses’’ (gardant le titre mais gommant le nom de Laclos) un «drame en trois actes, mêlé de chants», donné au Théâtre du Vaudeville. Ils furent les seuls à modifier profondément le sens de l’œuvre : ils substituèrent à Mme de Merteuil, personnage trop choquant à l’époque, le chevalier de Chavigny ; ils créèrent un personnage appelé la Guimard qui demande de l’aide à Valmont, son maître en libertinage qui lui a tout appris, parce qu’elle subit  l’amour envahissant de Chavigny, épisode bien extraordinaire et qui a pour but de retarder l’action et de provoquer le quiproquo final, où Valmont, blessé à mort par Chavigny, meurt en vers dans les bras de Mme de Tourvel ; ils ne firent qu’une allusion à Danceny et négligèrent Cécile de Volanges ; ils ponctuèrent les dialogues de chants sur des airs de chansons populaires de l’époque ou d’anciens vaudevilles, ce qui donna à la pièce un climat de gaieté, de fantaisie légère. La pièce était un drame bourgeois, proche du mélodrame, qui voulait l’adhésion du spectateur à un système de valeurs supposées capables d’améliorer son sort personnel et le fonctionnement du corps social, d’où le recours à l’attendrissement.

En 1907, Fernand Weyl (pseudonyme de Pierre Nozière), journaliste au ‘’Temps’’, sur la demande du comte Robert de Clermont-Tonnerre qui souhaitait offrir à se amis un spectacle dans son château de Maisons-Laffitte, composa une pièce en trois actes qui fut la première adaptation fidèle.
En 1944, Raoul Dabadie écrivit une pièce qui fut montée par le Théâtre populaire et interprétée par Mony Dalmès, Bernard Dhéran et Danielle Delorme dans les rôles principaux.
En 1952, Paul Achard produisit une médiocre «pièce en huit tableaux», écrite initialement pour la Comédie Française mais jouée sur la scène du Théâtre Montparnasse-Gaston Baty, dans une mise en scène de Margueritte Jamois qui incarnait Mme de Merteuil aux cotés de Daniel Lecourtois, dans le rôle de Valmont, et de Mady Berry, dans celui de la présidente de Tourvel.

En 1979, l’Allemand Rudolf Fleck, à partir de la traduction d’Heinrich Mann, écrivit une transposition en seize tableaux des principales actions du roman épistolaire, dominée par la volonté d’en offrir une lecture rationalisée.

En 1980, un autre Allemand, Heiner Müller, donna ‘’Quartett’’, un texte très violent, brutal et très direct, ne faisant que dix-huit pages, et où, n’essayant pas de faire une adaptation au sens propre du terme, préférant les notions de «cérémonie» ou de «paysage», il déroula un étrange rituel de sang et de mort, ne gardant que les deux protagonistes, qui ont vieilli, supprimant les anecdotes, les épisodes et autres rebondissements, pour privilégier ce qui lui parut universel dans le texte de Laclos, c’est-à-dire «les rapports entre les sexes», l’enquête sur l’âme humaine menée sans concession, sans complaisance, l’action étant située à la fois dans un salon d’avant la Révolution de 1789.

Christopher Hampton, grand connaisseur du XVIIIe siècle, publia ‘’Dangerous liaisons’’. Cet écrivain doté de remarquables qualités : un regard clinique, une écriture moderne mise au service de l'acteur, la volonté de ne mettre aucun obstacle entre le spectateur et l'interprète comme certains se complaisent à le faire au profit d'un discours philosophique, réunit les scènes en «six groupes», contracta les évènements qui touchent à Cécile et Danceny (toutes leurs lettres d’amour sont résumées par cette réplique de Mme de Merteuil : «Il y a bien le jeune Danceny qui en raffole»), tira le personnage de Valmont vers le romantisme en le faisant se suicider lors du combat avec Danceny, permit à la marquise de tirer son épingle du jeu, et, non dénoncée, de continuer ses manigances. La pièce fut jouée à Londres et dans toute l’Angleterre. Puis, traduite, elle fut, reprise dans différents pays, notamment en France, le texte ayant été traduit par Jean-Claude Brisville. À Montréal, cependant, en 1989, au TNM, le metteur en scène, Olivier Reichenbach, donna sa propre traduction où, n'ayant même pas eu l'idée de recourir au texte original, il utilisa malheureusement des anglicismes flagrants tels que : «en autant que», «réaliser», «alternative», «chance» (pour «risque»), «anxieux» (pour «pressé»), «suspense», «erratique», «standard», et des incongruités modernes telles que «ça a marché», "suite à".

Carole Thibaut adapta et mit en scène le roman dans une pièce en cinq tableaux ayant chacun un titre. Elle voulut mettre en relief le «libertinage au sens premier du terme, cette volonté de se libérer de Dieu comme dans ‘’Dom Juan’’», «la recherche d’absolu sans concession de Mme de Merteuil», la manière dont «l’humain finit par rattraper ces deux ‘’monstres’’ malgré toutes leurs aspirations, et de la pire manière qu’il soit, c’est-à-dire minable, aigre, petite». Mme de Merteuil et Valmont jouaient entre eux les autres personnages (Mme de Tourvel, Cécile, Danceny), dans un rapport schizophrène et une manipulation pathologique tels qu’on se demandait s’ils n’inventaient pas tout. Elle souhaitait ainsi axer la pièce sur la solitude totale des deux protagonistes et surtout de Mme de Merteuil (tous les tableaux se passaient chez elle, comme si elle était enfermée, isolée du monde, toujours à distance ; et, à la fin, quand elle exigeait «la guerre», Valmont répondait simplement qu’il ne jouait plus, et quittatt l’espace de jeu, la laissant seule ; elle se lançait alors dans un monologue où elle racontait la fin de l’histoire de Laclos, comme dans une tentative désespérée et totalement démente de continuer le jeu, malgré tout. La pièce fut jouée au Théâtre Jean-Marais à Saint-Gratien (Val-d’Oise).

Didier Sandre donna une adaptation, qu’il joua avec Ludmila Mikael.

Éric Ferrat et Florence Dupeu, qui travaillent à mettre en valeur des textes non dramatiques, organisèrent, à la Chapelle-aux-Riboulx (Mayenne), dix-neuf lectures d’un choix d’une cinquantaine de lettres, sous cinq formes différentes, en préservant la langue et l’intrigue, pour poser une interrogation sur la dimension humaine de la relation amoureuse perverse entre Valmont et Mme de Merteuil, sur la condition féminine, sur l’affrontement à égalité entre un homme et une femme.
En 2009, à Montréal, le metteur en scène Daniel Paquette fit une transposition de l’action dans les Années folles, en Nouvelle-Angleterre, les personnages semblant sortis de l’univers de ‘’Gatsby le magnifique’’ de Fitzgerald.
En 1959, Roger Vadim, sur un scénario coécrit avec Roger Vailland, donna, avec ‘’Les liaisons dangereuses 1960’’, une adaptation «moderne», réunissant Jeanne Moreau (Mme de Merteuil), Gérard Philipe (Valmont) et Annette Vadim (Madame de Tourvel).

En 1980, Charles Brabant tourna un téléfilm, avec notamment Claude Degliame (Mme de Merteuil), Jean-Pierre Bouvier (Valmont) et Maïa Simon (Madame de Tourvel).

En 1988, le cinéaste britannique Stephen Frears, sur un scénario de Christopher Hampton qu’il tira de sa propre pièce, dans ‘’Dangerous liaisons’’, fit jouer Glenn Close (Mme de Merteuil), John Malkovich (Valmont), Michelle Pfeiffer (Mme de Tourvel), Uma Thurman (Cécile de Volanges) et Keanu Reeves (Danceny).

En 1989, le réalisateur tchèque Milos Forman se permit, dans ‘’Valmont’’, une adaptation très libre.

L'action est placée dans la première moitié du XVIIIe siècle.

Ce qui se cache derrière les lettres a été déduit.

Les personnages, aucun n'étant privilégié, sont replongés dans la vraie vie.

Valmont (Colin Firth) est un être léger, frivole, un enfant qui, contrarié, devient méchant.

Mme de Merteuil (Annette Bening) se perd dans les pièges qu'elle a tendus.

La tragédie finale est supprimée.

La langue de Laclos, superbe à la lecture mais trop écrite, est écartée parce qu'inutilisable dans la spontanéité d'un dialogue.

Tous ces éléments posant d'ailleurs l'éternelle question de l'adaptation.

En 1990, le trio comique ‘’Les inconnus’’ donna un sketch parodique, ‘’Les liaisons vachement dangereuses’’, où, prétendument, le lutteur Jean-Claude Van Damme, dans le rôle de Valmont, inflige une sévère correction à Mme de Merteuil.

En 1999, le réalisateur américain Roger Kumble proposa, sous le titre ‘’Sex intentions’’, avec Ryan Phillippe (Sebastian Valmont), Sarah Michelle Gellar (Kathryn Merteuil) et Reese Witherspoon (Annette Hargrove), une adaptation radicalement infidèle (les protagonistes ont tous vingt ans et s'affrontent, de nos jours, sur un campus universitaire à Manhattan) qui ne fait nullement honneur à Laclos.

En 2003, le Coréen E J-yong réalisa ‘’Untold scandal’’, avec notamment Bae Yong-jun et Lee Mi-suk, l’action étant transposée dans le contexte historique sud-coréen.

En 2003, Josée Dayan fit, sur un scénario d’Éric-Emmanuel Schmidt, une autre adaptation des ‘’Liaisons dangereuses’’, pour la télévision française, avec:

Catherine Deneuve (Mme de Merteuil)
Rupert Everett (Valmont)
Nastassja Kinski (Mme de Tourvel)
Leelee Sobieski (Cécile de Volanges)
Danielle Darrieux (Mme de Rosemonde)
Françoise Brion (Mme de Volanges)
Tedi Papavrami (Danceny).

Josée Dayan et son scénariste proposèrent une autre lecture, ayant eu l’heureuse idée de dépayser le dénouement.

Dans les dernières scènes, qui se passent en Irlande, on comprend ce que Laclos voulait dire quand il protestait qu’il était un disciple, non de Voltaire, mais de Rousseau.

Dans le duel final de Valmont et de Danceny apparaît bien ce «rousseauisme noir» dont il se réclamait et qui lui faisait dire, à la surprise générale, qu’il n’avait rien fait que récrire ‘’La nouvelle Héloïse’’.

Everett a une froideur, une raideur, une sensualité sèche, glacée et un peu mécanique, qui sont fidèles à un personnage dont Laclos lui-même faisait dire à la Merteuil qu’il n’avait «pas le génie de son état».
En musique :

Claude Prey fit jouer l’opéra épistolaire en deux actes, ‘’Les liaisons dangereuses’’.

Frédéric Château sortit la chanson ‘’Les liaisons dangereuses’’.
Et à Buenos Aires, Alfredo Arias, Gonzalo Demaria et René de Ceccatty firent jouer ‘’Liaisons tropicales’’, comédie musicale en deux actes.
Francesconi, "Quartetto", Teatro alla Scala.

L'écrivain belge Laurent de Graeve publia ‘’Le mauvais genre’’ où, avec un réalisme glacial et dans un langage familial, il dressa un portrait inattendu de Mme de Merteuil dont la monstruosité est redéfinie, qui est présentée comme une victime de son milieu et un être en manque d’amour ; muselée depuis son plus jeune âge, elle n'en peut plus de se taire ; le temps du silence, de la honte et des bonnes manières est révolu ; l'heure est au scandale, à l'indécence et à la vérité.
En 2006, la Française Camille de Peretti publia le roman épistolaire ‘’Nous sommes cruels’’ où Julien et Camille, élèves brillants, orgueilleux, cyniques, ambivalents, démoniaques et troubles, fascinés par la littérature du XVIIIe siècle, ont tous deux la conviction de s'être trompés d'époque, une dévorante envie de s'amuser et d'affirmer leur toute-puissance. Pour combler leurs aspirations, ils décident de se prendre pour le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, d’êtres «partenaires de crime», maîtres d'un jeu cruel dont ils tirent les ficelles en redoutables manipulateurs. Mais, quand ils se laissent rattraper par leurs modèles, les nouveaux enjeux les dépassent. Piqués dans leur amour-propre, ils sont incapables de mettre le terme qui s'impose à leur entreprise. Le jeu s'annonce de plus en plus périlleux ; et risque bien de les mener à ce qu'ils redoutent par-dessus tout : devenir des adultes.
D’autres romanciers donnèrent des suites au roman de Laclos.

En 1926 parurent ‘’Les vrais Mémoires de Cécile de Volanges. Rectifications et suite aux Liaisons dangereuses’’, prétendument rédigés en 1805, mais qui sont évidemment apocryphes et seraient l’œuvre d’un certain Lucas de Peslouans
En 1976, dans ‘’Une liaison dangereuse, lettres de La Haye’’, la romancière néerlandaise Hella Haasse, exploitant le fait  que la marquise de Merteuil, ne pouvant plus, à la fin du roman de Laclos, demeurer à Paris à la suite de ses si condamnables manoeuvres et ayant perdu un oeil à cause de la vérole, a «pris la route de la Hollande», l’imagine, dans cet essai, épistolaire lui aussi, vivant à La Haye, seule, cachée, détruite, lucide et perspicace, entretient avec elle une correspondance, un dialogue roboratif, où elle s'intéresse à l'image féminine dans la littérature, prenant la défense des méchantes, des amorales et des mauvaises. Elle s'approprie le personnage pour le cerner, l'admirer, le contredire, le raisonner, l'éclairer à la lumière du XXe siècle. C’est un ouvrage au féminisme vif et sage, dissertant avec une frivolité piégeante sur les mauvaises et les bonnes femmes de la littérature européenne, de Médée à Lulu, de lady Macbeth à Thérèse Raquin.
En 1987, Christiane Baroche publia ‘’L'hiver de beauté’’, où Laclos lance Mme de Merteuil sur les routes du Nord où, pense-t-il, ne l’attendent qu’exil, misère et abandon. Mais, après avoir subi l’assaut de la petite vérole et avoir perdu un œil, indomptable, elle reconstruit sa vie à Rotterdam, une vie pleine et entière que nous raconte Queria, sa lointaine descendante, pareillement défigurée, qui découvre ainsi le moyen de guérir ses propres incertitudes. 
Toutes ces productions, dans leurs différences mêmes, montrent combien ‘’Les liaisons dangereuses’’ restent stimulantes pour les créateurs.

Sur ordre de Ségur, ministre de la Guerre, Laclos, fin mai 1782, rejoignit son corps à Brest, où il tomba malade. Grâce à une intervention de Montalembert quelques jours plus tard, il fut mis à disposition du marquis, et rentra à La Rochelle fin août.

C'est là que, fréquentant la bonne société rocheloise, il commença, au plus tard début 1783, une liaison avec Marie-Solange Duperré, aînée des vingt-deux enfants du trésorier principal de la généralité de La Rochelle et de dix-huit ans sa cadette.

Il avait commencé, en réponse à une question sur un sujet en vogue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (‘’Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l'éducation des femmes?") posée par l'académie de Châlons-sur-Marne, à écrire "De l’éducation des femmes" (1783)
Dans le premier essai, Laclos constatait avec pessimisme que «dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n’est pas susceptible d’éducation», à moins de changer cette société. Il affirmait donc : «On ne sort de I'esclavage que par une grande révolution», que, tant que cette révolution n'aurait pas eu lieu, il n'y aurait pour les femmes ni éducation, ni liberté, ni morale, que la solution était donc politique.
Le deuxième essai était fortement inspiré du ‘’Discours sur l'inégalité’’ de Rousseau. Il y constatait que  la société a fait, d’«êtres libres», des hommes des «tyrans», et des femmes des «esclaves».
Le troisième essai traçait pour la femme un programme pratique de lectures, commençant «par les moralistes, les historiens et les littérateurs» qui sont indispensables pour lui faire atteindre «ce triple objet [...], qu'elle eût de la raison, pour connaître le bien ; de la bonté pour vouloir le faire ; et de l'amabilité, pour en avoir les moyens».

Ces trois textes furent regroupés par les éditeurs. Ils sont empreints de moralisme, mais contiennent pourtant des descriptions physiologiques assez précises et plus affriolantes pour un lecteur du XVIIIe siècle que les pages réputées les plus scabreuses des ‘’Liaisons dangereuses’’, pour lesquelles ils offrent une féconde grille de lecture.
Ils s'inscrivent en marge de ‘’La nouvelle Héloïse’’ et du livre V de l’’’Émile’’, sont dans le prolongement des réflexions de Rousseau sur la femme naturelle, et sa perversion dans la civilisation parisienne du temps.
Laclos s’y révélait un ardent féministe.
Ils furent plusieurs fois repris et augmentés jusqu'en 1802, mais restèrent inachevés et sous forme de manuscrits jusqu'en 1903.

En 1784, Laclos, s’essayant comme critique littéraire, rendit compte, dans ‘’Le Mercure de France’’ (avril et mai), du roman ‘’Cécilia ou Les Mémoires d'une riche héritière’’ (1782) de l’Anglaise Miss Fanny Burney, où il afficha encore son rousseauisme, voyant en «’’La nouvelle Héloïse’’, le plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman». Il profita de I'occasion pour exprimer ses positions en matière d'esthétique littéraire, qui étaient caractérisées par une prédilection pour «le Roman», jugé supérieur à «l'Histoire», qui «apprend les moeurs des Nations, mais non celle des Citoyens, [...] dit les mœurs publiques, et se tait sur les moeurs privées [...] peint les hommes tels qu'ils se montrent, et non tels qu'ils sont», et au «Théâtre», qui «offre sans doute des tableaux plus vrais et plus rapprochés de la Société», mais où «on ne peut pas tout peindre» : «Observer, sentir et peindre, sont les trois qualités nécessaires à tout Auteur de Romans. Qu'il ait donc à la fois de la finesse et de la profondeur, du tact et de la délicatesse, de la grâce et de la vérité ; mais que surtout il possède cette sensibilité précieuse, sans laquelle iI n'existe point de talent, et qui elle seule peut les remplacer tous. / C'est d'après cette manière de penser que nous croyons les femmes particulièrement appelées à ce genre d'Ouvrages.»
Cette année-là, il eut un fils illégitime, Étienne-Fargeau. Le mariage des parents fut célébré, le romancier scandaleux allant être un époux modèle.
Cette année-là encore mourut son père
En avril 1786, il reconnut son enfant.
Cette année-là,, il composa deux poèmes ‘’À Mademoiselle de Sivry’’, dont la destinataire, «à l'âge de douze ans, [savait] le grec et le latin, et [faisait] de très jolis vers».
Cette année-là encore, il inventa les «boulets creux», c'est-à-dire les obus.
De plus, l’Académie de Dijon puis l’Académie française ayant proposé, pour leur concours d’éloquence, un éloge du maréchal de Vauban, il publia une sulfureuse ‘’Lettre à Messieurs de I'Académie française sur l'éloge de M. le maréchal de Vauban’, où il prit le contre-pied de l’attitude officielle, osa critiquer les fortifications de Vauban qu’il jugeait inefficaces. Ce pamphlet  lui valut le désaveu du ministre, le maréchal de Ségur, pour qui il était coupable, d’une part, d’avoir critiqué Vauban, d’autre part, d’avoir publié ce texte sans autorisation officielle. Il fut réintégré d'office dans sa compagnie, alors à Metz : il y séjourna quelques mois sans sa femme, qui put toutefois le rejoindre à La Fère, où il fut muté fin 1786, jusqu'à I'automne 1788.
En 1787, il publia l'édition dite «de Nantes» de ses ‘’Oeuvres’’, comprenant ‘’Les liaisons dangereuses’’, des ‘’Pièces fugitives’’ (divers poèmes) et la ‘’Correspondance entre Mme Riccoboni et M. de Laclos’’ (entamée dès avril 1782, et qui présente un certain intérêt car il y définit ses intentions morales en tant que romancier).
Il proposa, la même année, un curieux ‘’Projet de numérotage des rues de Paris’’, fondé sur un découpage de la ville en carrés. Il eut aussi le projet d’«une nouvelle grammaire française» dont il entretint sa femme à plusieurs reprises.
Fin 1788, disgracié du fait de son si peu élogieux éloge de Vauban, et négativement auréolé du succès des ‘’Liaisons dangereuses’’, il obtint d'être mis en congé de l'armée pour entrer au service du duc d'Orléans (le futur Philippe-Égalité, cousin de Louis XVI), en tant que «secrétaire aux commandements», alors que naissait sa fille, Catherine, son deuxième enfant. Il devint l’un des principaux instigateurs de la politique progressiste du duc, qui aspirait à la régence du royaume en cas de déchéance de Louis XVI. En 1789, il rédigea des ‘’Instructions aux assemblées de bailliage’’ dépendant de l’apanage du duc d’Orléans : c’était un programme de réformes où il se montrait attaché aux principes de la justice et de la liberté, partisan d’une monarchie constitutionnelle.
Accusé d’avoir suscité l'émeute des 5 et 6 octobre 1789 à Versailles, il s'enfuit à Londres avec son protecteur, et continua à rédiger ses textes politiques. Son éloignement lui fit écrire à sa femme des lettres d’un sentimentalisme moral et d’un style tels qu’on n’y reconnaît guère le romancier ; il y exprimait son amour au travers de références littéraires à la mode : «Rousseau a écrit presque tout ce que tu m'as inspiré et tu m'inspires encore...».

De retour à Paris avec son maître en juillet 1790, il rédigea un ‘’Exposé de la conduite de M. le duc d'Orléans’’ (1790), anima, comme rédacteur en chef, le ‘’Journal des amis de la Constitution’’ (1790-1791), organe de la société du même nom, alias le Club des Jacobins. Un mois après avoir été admis à la retraite, il proposa, à la tribune des Jacobins, où il fut un orateur écouté, le 1er juillet 1791, de faire nommer régent le duc d'Orléans ; en conséquence, on l'accusa d'être responsable de la rédaction de la pétition réclamant la déchéance de Louis XVI après Varennes, dont la signature, le 17 juillet, provoqua la fusillade parisienne du Champ-de-Mars, les gardes nationaux de La Fayette réprimant les «sans-culottes». Loin d'être mêlé à cette pétition (hypothèse aujourd'hui abandonnée), dès le 21 juillet, il démissionna du ‘’Journal’’. Mais l'échec de sa proposition lui mit à dos républicains et monarchistes, et le duc se sépara de lui.
En 1791, il publia un compte rendu de ‘’La vie privée du maréchal de Richelieu’’, mémoires apocryphes d'un libertin célèbre. Cela lui donna encore l'occasion d’exprimer ses idées sur la création romanesque, et de justifier ‘’Les liaisons dangereuses’’ : «On se convaincra que les fictions atroces ou scandaleuses, à l'aide desquelles les romanciers dévoilaient ou combattaient les caractères infâmes qu'ils mettaient en scène, étaient encore au-dessous de la réalité.»

En 1792, il fut élu commissaire à la municipalité provisoire de Paris par la section du quartier du Palais-Royal, rejeté par la Commune, puis réélu par sa section, avant d'être nommé, grâce à Danton, son autre protecteur, commissaire du pouvoir exécutif : chargé d'organiser l’artillerie pour la défense contre les Prussiens, il prépara la victoire de Kellermann à Valmy (20 septembre), ce qui lui valut, dès le surlendemain, d'être réintégré dans l'armée comme maréchal de camp (c'est-à-dire général de brigade) dans l’infanterie, puis, une semaine plus tard, d'être nommé d'abord chef d'état-major du ministre de la Guerre, Servan, et commandant en chef de I'armée des Pyrénées, basée à Toulouse, enfin gouverneur général des établissements français situés à I'est du cap de Bonne-Espérance, par Monge, ministre de la Marine, nomination qui intervint quelques jours après le décès de sa fille, Catherine, à Paris, fin 1792.
Mais il fut bientôt arrêté comme ancien partisan du duc d’Orléans, et emprisonné, après avoir présenté son invention du «boulet creux», dont il dirigea les expériences en étant sous surveillance. Puis il fut, sous la Terreur, incarcéré à nouveau. Il démissionna de l’armée en septembre 1793. Le duc d'Orléans fut exécuté le 7 novembre 1793, et lui-même  échappa de peu à la guillotine, sauvé par Thermidor. Libéré fin 1794, il ne put obtenir sa réintégration dans I'armée. À la fin de 1795, année de naissance de son second fils et troisième enfant, Charles, conçu en prison, il fut nommé conservateur des hypothèques.

Son activité d'écrivain se réduisit alors à la rédaction d'un mémoire, ‘’De la guerre et de la paix’’ (1795), pour le Comité de salut public, qui contient nombre de vues pertinentes sur un plan non seulement militaire  et politique, mais économique et moral ; et à celle d'un ‘’Voyage de Ia Pérouse’’ (1797), compte rendu, demandé par la Convention, des relations de l'explorateur.
Ce n'est qu'en octobre 1799 qu’il obtint d'être réintégré comme général de brigade, mais seulement dans l’infanterie, sa réintégration dans l'artillerie étant refusée. Ardent partisan de Bonaparte, il joua un rôle dans le coup d'État du 18 brumaire, et fut, début 1800, récompensé par le Premier consul, qui lui donna le grade de général de brigade dans I'artillerie, avec effet rétroactif au 22 septembre 1792, puis le plaça à la tête de l'armée du Rhin, basée à Strasbourg. Entamant alors, à l’âge de cinquante-neuf ans, une nouvelle carrière militaire, il s'illustra dans les campagnes militaires de Bonaparte, à l’armée du Rhin puis en Italie, entre l'été 1800 et le printemps 1801 où, à en croire ‘’Souvenirs d'égotisme’’, il rencontra Stendhal à Milan.
De retour à Paris, il fut nommé membre du Comité d'artillerie en septembre, un mois avant son soixantième anniversaire, puis inspecteur général d'artillerie, début 1802, commandant de I'artillerie de Saint-Domingue (affectation finalement annulée), enfin, en 1803, commandant de l'artillerie française dans le Royaume de Naples. Il quitta Paris, en mai 1803, sans avoir achevé son ultime réalisation d'écrivain, les ‘’Observations du général de Laclos sur le roman théâtral de M. Lacretelle aîné’’ (posthume, 1824), qu'il avait rédigées à propos de la pièce ‘’Charles Artaut Malherbe ou Le fils naturel’’ (1802), sous-titrée «roman théâtral», écrite par un ami. Dans ce texte d’une quarantaine de pages, on peut lire une réflexion sur le rapport entre le roman, «le plus libre de nos genres de littérature», et le théâtre ; sur la présence de I'Histoire dans le texte du roman : «On y voit déjà la révolution se préparer ; elle se peint dans les personnages ; on l'entrevoit comme à travers un nuage dans ce qu'ils font, dans ce qu'ils disent, dans ce qu'ils sentent ; ils participent, suivant leur caractère, de tout ce qui pouvait l'amener, la diriger ou l'égarer.» ; il y souligna en outre son intérêt pour un personnage mettant les «talents d'un intrigant supérieur» au service de «la vertu et du bien public», qui serait, d'après Lacretelle, «un caractère qu'il avait toute sa vie médité comme le sujet d'un second roman». On a pu supposer, en s’appuyant sur cet ouvrage, qu’il songeait depuis longtemps à un nouveau roman qui, à I'image du ‘’Fils naturel’’, eût été, cette fois, le roman des liaisons heureuses.
Moins de deux mois après son arrivée à Tarente, dont il devait assurer la défense, le 5 septembre 1803, il mourut de dysenterie et de malaria.
À l'inverse des protagonistes des ‘’Liaisons dangereuses’’, Laclos, même s’il fut un ambitieux résolu, mena une existence certes animée (sauf au début de sa carrière militaire, période désoeuvrée où précisément il composa son roman), mais somme toute banale, presque plate, exemplairement vertueuse. Officier au-dessus de tout soupçon, il connut un bonheur conjugal authentique (sa correspondance avec sa femme offre l’image d’un excellent mari, affectueux et quelque peu moralisateur), et il eut aussi une action politique qui fut jugée opportuniste.
Écrivain amateur, il produisit presque à son premier essai un chef-d'oeuvre d'analyse psychologique et d'élaboration narrative. Mais il était né pour un seul livre (pour Jean Paulhan, il n’aurait «jamais pu recommencer cet effort surhumain»), car, si on se donne la peine de lire l’ensemble de son oeuvre, peu abondante, ses autres écits étant mineurs, voire médiocres, on est affligé par la médiocrité constante de l’invention.
Il manifesta une sincère sollicitude à l'égard de ce qu'on n'appelait pas encore la condition féminine. Si bien qu'il put à bon droit se défendre : «Peut-être ces mêmes ‘’Liaisons dangereuses’’ tant reprochées aujourd'hui par les femmes, sont une preuve assez forte que je me suis beaucoup occupé d'elles ; et comment s'en occuper et ne les aimer pas?» (‘’Correspondance entre Mme Riccoboni et M. de Laclos’’).
Tel est I'un des paradoxes de cet écrivain à la réputation sulfureuse, auteur d'une oeuvre qui reste un sommet de cynisme et de libertinage, mais surtout un monument de la littérature française, dont l’intérêt subsiste envers et contre tout : le milieu, les mœurs ont changé, l’anecdote offre peu d’intérêt par elle-même, mais il y manifesta, caché sous l’analyse la plus claire, on ne sait quel secret qui touche à la réalité de l’amour et de ses fantasmes.


Le reste de l’oeuvre est si varié, et présente si peu d’intérêt de contenu et de style qu’un des éditeurs des ‘’Liaisons dangereuses’’, Yves Le Hir, en a conclu qu’il était impossible que ce chef-d’oeuvre fût de Laclos qui se serait contenté de racorder et d,ajuster des lettres véritables. 

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