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Sunday, June 3, 2012

L'"Edipo" di Flegenheimer

Speranza En affichant l’un des plus incontestables et puissants chefs-d’œuvre de l’opéra du 20ème siècle, Peter de Caluwe, directeur général du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, affronte un challenge dont la témérité a tout simplement quasiment fait disparaître l'"Edipo" de Giorgio Enesco de la programmation lyrique mondiale. Et ce dès le lendemain de sa création en 1936! Dernièrement, seul Nicolas Joel, alors directeur du Théâtre du Capitole de Toulouse, a osé braver ce «monstre» réputé injouable et inchantable pour le rôle-titre. C’était en octobre 2008. Dans une facture versifiée néoclassique un rien datée, le livret, dû à l’écrivain juif français Edmondo Flegenheimer (1874-1963), s’inspire de deux tragédies de Sophocle: "Edipo re" et "Edipo a Colono". Si le compositeur roumain George Enescu (1881-1955) met près d’un quart de siècle à écrire cette somptueuse partition, elle n’en demeure pas moins d’une incroyable modernité. Et si l’on veut à tout prix retrouver chez elle des échos wagnériens, mahlériens, voire debussystes ou fauréens, il ne faut en aucun cas ignorer sa parfaite et audacieuse originalité. Fondé en 1979, le collectif catalan «La Fura dels Baus» est devenu rapidement une compagnie culte et ses incursions, depuis une vingtaine d’années, dans l’art lyrique, font toujours figure d’évènement. A ce titre, il faudrait citer, entre autres, cette stupéfiante soirée Janáček/Bartok à l’Opéra de Paris qui n’avait laissé personne indifférent. Pour l’heure, c’est Alex Ollé, l’un des six directeurs artistiques de cette compagnie, qui est responsable de la régie de cet "Edipo", avec la collaboration de Valentina Carrasco (Argentina), les décors d’Alfons Flores, les costumes de Lluc Castells et les éclairages de Peter Van Praet. Atomisant l’espace-temps, Ollè et Valentina Carrasco nous propose un premier acte d'une stupéfiante beauté picturale. Le rideau se lève sur un impressionnant bas-relief vivant aux couleurs chaudes de l’argile. Occupant la totalité de l’encadrement scénique, ce dispositif permet de suivre, comme dans un livre d’images, les terribles premières heures du héros. Particulièrement souple, cette scénographie s’élargira dans les actes suivants, permettant l’adoption d’une foule de situations dont la moindre n’est pas l’arrivée de la Sfinge dans un Stuka de la Seconde Guerre Mondiale! Emergent de son cockpit dans une lumière stroboscopique, elle incarne, en même temps que la clé de voûte de cet opéra, le moment le plus hallucinant qu’un théâtre lyrique nous ait offert depuis longtemps. Bourrée d’idées, comme celle par exemple de Merope, mère adoptive d’Œdipe, ici dans la blouse d’une psychiatre, ou encore la peste qui sévit sur Thèbes remplacée par une coulée de boue pestilentielle qui recouvrira l’ensemble des actes et dont les victimes sont évacuées par des sauveteurs munis de masque à gaz, la mise en scène actualise ce mythe universel avec à-propos, cohérence et rigueur. Sur les treize rôles qui constituent la distribution essentielle de cet opéra, douze peuvent être qualifiés de secondaires. Ce qui n’est pas rien et qui, a contrario, signifie que le treizième est plus qu’omniprésent. C’est bien évidemment celui d’Edipo. Refusé par Chaliapine (1873-1938), créé par André Pernet (1894-1966), ce rôle réclame un registre grave des mieux fournis avec beaucoup de souplesse dans le haut du registre aigu, la partition allant couramment jusqu’au fa dièse. Basse, comme l’était Pernet, qui chantait également Wotan et Gurnemanz, Escamillo et Les Contes d’Hoffmann ? Baryton-basse comme l’était José van Dam qui confia ce rôle au studio mais ne s’aventura jamais sur scène avec lui ? Baryton comme Franck Ferrari qui répondit présent à l’invitation de Nicolas Joel au Capitole de Toulouse ? Quoi qu’il en soit, l’important est la prosodie, essentielle dans cet emploi dont l’interprète doit faire comprendre le moindre mot. Vitales également la musicalité et l’intention dramatique car le rôle est d’une subtilité musicale et scénique sans peu d’équivalent. Alternant avec Dietrich Henschel, le baryton américain Andrew Schroeder, qui fut Thésée dans la production toulousaine, s’aventure dans cet incroyable challenge avec un courage exemplaire. Très clairement plus baryton que basse, il gère avec une remarquable virtuosité technique les multiples écueils de cette partition, un medium et un registre aigu somptueux de rondeur, une émotion et une musicalité permanentes comblant plus qu’il n’en faudrait un extrême grave noyé dans un orchestre aux accents titanesques. Une interprétation convaincante qui lui vaut d’ailleurs d’être invité à chanter ce rôle au célèbre Colon de Buenos Aires en juin 2012. S’il s’agissait de ne retenir qu’un autre rôle, ce serait celui de la Sphinge, interprétée, comme à Toulouse, par le mezzo québécois Marie-Nicole Lemieux, ici fascinante et sidérante de ductilité vocale dans cet emploi inimaginable. Soulignons également la présence sur le plateau de Jan-Hendrik Rootering (superbe Tirésias), Robert Bork (Créon), John Graham-Hall (Le berger), Jean Teitgen (Le Grand-Prêtre), Henk Neven (Phorbas), Frédéric Caton (Le Veilleur), Nabil Suliman (Thésée), Yves Saelens (Laïos), Natascha Petrinsky (Giocasta), Ilse Eerens (Antigone) et Catherine Keen (Mérope). Sous la direction attentive du britannique Leo Hussain, les phalanges maison font de leur mieux pour rendre justice à une œuvre qui ne les épargne guère. D’ailleurs, la forte implication d’un orchestre tout à la fois gigantesque et transparent ainsi que la présence d’un chœur aux dimensions peu communes font partie des handicaps de cet ouvrage. ************************** Cela dit, Nicolas Joel a invité cette production à l’Opéra de Paris pour la saison 2015-2016, sous la direction de Philippe Jordan. ***************************** Il est temps de prendre date pour ce nouveau rendez-vous avec ce chef-d’œuvre.

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